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  1. Nov 2019
    1. Les réticences de mon père m’étonnaient et me piquaient bien davantage. Il aurait dû s’intéresser à mes efforts, à mes progrès, me parler amicalement des auteurs que j’étudiais : il ne me marquait que de l’indifférence et même une vague hostilité. Ma cousine Jeanne était peu douée pour les études mais très souriante et très polie
    2. Mon père, qui souffrait de se trouver à cinquante ans devant un avenir incertain, souhaitait avant tout pour moi la sécurité ; il me destinait à l’administration qui m’assurerait un traitement fixe et une retraite.
    3. Le scepticisme paternel m’avait ouvert la voie ; je ne m’engageais pas en solitaire dans une aventure hasardeuse.
    4. Mon père ne croyait pas ; les plus grands écrivains, les meilleurs penseurs partageaient son scepticisme ; dans l’ensemble, c’était surtout les femmes qui allaient à l’église ; je commençais à trouver paradoxal et troublant que la vérité fût leur privilège alors que les hommes, sans discussion possible, leur étaient supérieurs.
    5. Moi j’avais parlé comme un perroquet et je ne trouvais pas en moi le moindre répondant.
    6. Par la suite, et peut-être en partie à cause de cet incident, je n’accordai plus à mon père une infaillibilité absolue.
    7. Plus sa vie devenait ingrate, plus la supériorité de mon père m’aveuglait ; elle ne dépendait ni de la fortune ni du succès, aussi je me persuadais qu’il les avait délibérément négligés ; cela ne m’empêchait pas de le plaindre : je le pensais méconnu, incompris, victime d’obscurs cataclysmes.
    8. Mais cet après-midi, ce qui me transporta, ce fut bien moins la représentation que mon tête-à-tête avec mon père ; assister, seule [Page 95]avec lui, à un spectacle qu’il avait choisi pour moi, cela créait entre nous une telle complicité que, pendant quelques heures, j’eus l’impression grisante qu’il n’appartenait qu’à moi.