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  1. Nov 2019
    1. dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le plus beau des châteaux, et madame la meilleure des baronnes possibles.

      Le ridicule par l'outrance.

    1. Ma mère, plus lointaine et plus capricieuse, m’inspirait des sentiments amoureux

      Sur les rapports de Beauvoir avec la psychanalyse, voir, entre autres : https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2011-1-page-63.htm

      Dans son Deuxième sexe, Beauvoir fait une critique lucide du "point de vue psychanalytique" sur la femme. Si elle adhère aux concepts généraux du freudisme, elle lui reproche pourtant l'étroitesse de son point de vue exclusivement masculin ; surtout, elle lui reproche de poser comme immuable certains traits qui, selon elle, tiendraient plutôt de l'ordre social (la souveraineté du père, par exemple).

      Cf. Le deuxième sexe, tome 1, première partie, chapitre II : "Le point de vue psychanalytique".

    1. Moyennant l’éternel travail des ondes marines, le fragment d’une roche, à force d’être roulé et heurté de toutes parts, si la roche est d’une matière inégalement dure, et ne risque à la longue de s’arrondir, peut bien prendre quelque apparence remarquable. Il n’est pas entièrement impossible, un morceau de marbre ou de pierre tout informe étant confié à l’agitation permanente des eaux, qu’il en soit retiré quelque jour, par un hasard d’une autre espèce, et qu’il affecte maintenant la ressemblance d’Apollon.

      Le liquide travaille, façonne : "la liqueur éblouissante du bronze vient épouser dans le sable durci, la creuse identité du moindre pétale…" (p. 101) Aussi : le caractère étrange de la "chose" façonnée, rejetée par la mer.

      Et sur tout ce passage : bien sûr, la réflexion sur le temps infini vs. le temps de l'artiste est centrale. Mais plus encore, la "chose" polie par le mouvement des vagues nous apparaît comme une parole de la mer (hugolien !) Ce sont les flots qui, par leur travail, révèlent à Socrate le travail de l'artiste.

      S'instaure un dialogue entre la mer et la terre, dont les mouvements concrets sont ceux du flux et du reflux des marées. Or le tunnel d'Eupalinos, aqueduc, fait circuler l'eau vers la terre. Que doit-on comprendre ?

    2. Je suis encore tout imprégné des propos d’Eupalinos que tu rapportais.

      "Ces entremetteuses [les oreilles] sont aux portes de l’esprit. Elles lui répètent ce qui leur plaît, elles le lui redisent à plaisir, finissant par lui faire croire qu’il entend sa propre voix." (p. 78)

    3. Oser de tels travaux, c’est braver Neptune lui-même. Il faut jeter les montagnes à charretées, dans les eaux que l’on veut enclore.

      L'architecte peut enclore l'eau ; le philosophe non. (cf. l'écoulement vrai des êtres, début du dialogue) Bref, l'architecte peut saisir l'insaisissable, prendre ce qui devrait couler entre ses mains. Peut-être parce que son corps est capable de faire un avec la nature ? (voir passage, p. 103, sur le corps-instrument)

    4. Ô mon ami, tu ne trouves donc pas admirable que la vue et le mouvement soient si étroitement unis que je change en mouvement un objet visible, comme une ligne ; et un mouvement en objet ? Que cette transformation soit certaine, et la même toujours, et qu’elle le soit au moyen de la parole ? La vue me donne un mouvement, et le mouvement me fait sentir sa génération et les liens du tracement. Je suis mû par la vue ; je suis enrichi d’une image par le mouvement, et la même chose m’est donnée, que je l’aborde par le temps, que je la trouve dans l’espace…

      Cf. Degas Danse Dessin, pour tout le passage qui précède. Les impressionnistes avaient bien compris ce que signifiait être "enrichi d'une image par le mouvement".

    5. Ô mon corps, qui me rappelez à tout moment ce tempérament de mes tendances, cet équilibre de vos organes, ces justes proportions de vos parties, qui vous font être et vous rétablir au sein des choses mouvantes ; prenez garde à mon ouvrage ; enseignez-moi sourdement les exigences de la nature, et me communiquez ce grand art dont vous êtes doué, comme vous en êtes fait, de survivre aux saisons, et de vous reprendre des hasards. Donnez-moi de trouver dans votre alliance le sentiment des choses vraies ; modérez, renforcez, assurez mes pensées. Tout périssable que vous êtes, vous l’êtes bien moins que mes songes.

      Net abandon du cogito.

    6. Mais la cire, ayant fui de son moule fomenté et perdue, la liqueur éblouissante du bronze vient épouser dans le sable durci, la creuse identité du moindre pétale…

      Encore l'importance du liquide : par lui se fixe les formes, paradoxalement.

    7. Imagine donc fortement ce que serait un mortel assez pur, assez raisonnable, assez subtil et tenace, assez puissamment armé par Minerve, pour méditer jusqu’à l’extrême de son être, et donc jusqu’à l’extrême réalité, cet étrange rapprochement des formes visibles avec les assemblages éphémères des sons successifs ; pense à quelle origine intime et universelle il s’avancerait ; à quel point précieux il arriverait ; quel dieu il trouverait dans sa propre chair !

      Rappelle le projet esthétique des symbolistes.

    8. cette union d’apparence fortuite de choses si différentes

      Clin d’œil à Lautréamont ? "Beau [...] comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie !" (Chants de Maldoror, chant 6, 3)

    9. Tout ici rend les arrêts, et parle de peines. La pierre prononce gravement ce qu’elle renferme

      "La houle me murmure une ombre de reproche/ Ou retire ici-bas, dans ses gorges de roche/ Comme chose déçue et bue amèrement/ Une rumeur de plainte et de resserrement…" (La Jeune Parque, v. 9-12)

    10. — Phèdre, me disait-il, plus je médite sur mon art, plus je l’exerce ; plus je pense et agis, plus je souffre et me réjouis en architecte ; — et plus je me ressens moi-même, avec une volupté et une clarté toujours plus certaines. Je m’égare dans mes longues attentes ; je me retrouve par les surprises que je me cause ; et au moyen de ces degrés successifs de mon silence, je m’avance dans ma propre édification ; et j’approche d’une si exacte correspondance entre mes vœux et mes puissances, qu’il me semble d’avoir fait de l’existence qui me fut donnée, une sorte d’ouvrage humain. À force de construire, me fit-il en souriant, je crois bien que je me suis construit moi-même.

      J'adore les emplois pronominaux dans tout ce passage : on sent vraiment que l'architecte est en train de s'échafauder lui-même.

    11. La vérité est devant nous, et nous ne comprenons plus rien.

      Parce que la vérité est un écoulement. Le philosophe veut saisir (prendre, au sens quasi physique) le vrai, et c'est bien pour cela que celui-ci lui échappe : on ne saisit pas ce qui est à l'état liquide, encore moins lorsqu'il bouge (s'écoule).

      Registre liquide m'évoque : Bachelard, L'Eau et les rêves ; de Valéry Le Cimetière marin, même La Jeune Parque et son "sang", ses "poisons" et sa "soif".

      En plus, Eupalinos = architecte du tunnel de Samos, qui "faisait déboucher directement en ville l'eau d'une source abondante" (Wikipédia).

    12. Je ne sais plus comment la saisir.

      "La vérité est devant nous, et nous ne comprenons plus rien." (début du dialogue)

    13. Le très admirable Stephanos, qui parut tant de siècles après nous.

      Mallarmé, of course. Le vers est tiré de la "Prose pour des Esseintes", personnage du À Rebours de Huysmans.

      "Qui parut tant de siècles après nous" : passé, présent et futur se mélangent dans le temps de la mort. Valéry réitère, après ses réflexions sur l'écoulement, le thème du mouvement comme incarnation de l'étrangeté : ici, c'est une conception particulière du temps, cyclique, conception qui nous coule entre les doigts (nous, les vivants).

      Si on voulait parler en termes leibniziens, on dirait que la mort nous est présentée ici comme un "monde possible", avec ses propres principes, distincts de ceux du "monde des vivants", donc échappant à notre raison (comme l'écoulement vrai des êtres au début du dialogue échappait à la compréhension humaine).

    14. Il faut, disait cet homme de Mégare, que mon temple meuve les hommes comme les meut l’objet aimé.

      Importance du mouvement, chez Valéry (écoulement) : voir sa passion pour Degas et les impressionnistes.

    15. Le réel d’un discours, c’est après tout cette chanson, et cette couleur d’une voix, que nous traitons à tort comme détails et accidents.

      C'est le style, au sens large.

    16. Je ne sépare plus l’idée d’un temple de celle de son édification.

      N'est-ce pas semblable à l’œuvre du poète ? Le faiseur d'alexandrins ne serait-il pas, lui aussi, un architecte ? La forme fait le fond : c'est particulièrement vrai en ce qui concerne l'école mallarméenne, et Valéry n'en est pas très éloigné.

    17. Mais la raison, cependant, y eut quelque part. Tout, sans elle, serait par terre.

      À propos de l'étymologie du mot architecte : l'étymon grec arkhitéktôn est composé entre autres de árkhô, soit "être le premier, commander"...