Synthèse sur la situation des enfants sans abri logés dans les écoles en France
Résumé
Le sans-abrisme infantile connaît une augmentation alarmante en France, avec une hausse de 133 % depuis 2020, exacerbée par l'inflation et la crise du logement.
Face à ce que le reportage décrit comme les "carences de l'État", des collectifs citoyens, notamment "Jamais sans toi" à Lyon, organisent l'occupation d'établissements scolaires pour offrir un abri nocturne à des familles à la rue.
Ce document de synthèse se penche sur ce phénomène à travers le témoignage d'une famille d'origine angolaise – une mère et ses enfants – hébergée dans une école lyonnaise.
Leur parcours met en lumière la précarité extrême, le traumatisme d'une tentative d'expulsion avortée, et l'impact psychologique profond sur les enfants.
La situation révèle une tension critique entre la solidarité citoyenne, incarnée par les enseignants et les parents d'élèves, et l'inaction des pouvoirs publics, qui non seulement échouent à proposer des solutions de logement pérennes, mais exercent également une pression administrative sur les acteurs de cette solidarité.
1. Le Phénomène du Sans-abrisme Infantile et la Réponse Citoyenne
Le reportage met en évidence une crise sociale majeure : l'explosion du nombre d'enfants sans domicile fixe en France.
• Expansion et Causes :
◦ Le sans-abrisme infantile a augmenté de 133 % depuis 2020.
◦ Les facteurs identifiés sont l'inflation, la multiplication des expulsions locatives et la pénurie de logements sociaux.
◦ Les solutions d'urgence, conçues pour être temporaires, "s'éternisent".
En 2023, les familles logées dans des écoles y sont restées en moyenne plus de six mois.
• L'Occupation des Écoles comme Palliatif :
◦ Face à cette situation, des collectifs citoyens comme "Jamais sans toi" à Lyon organisent l'occupation d'écoles pour héberger des familles. ◦ Ampleur du phénomène à Lyon :
▪ Actuellement, 17 écoles de la métropole lyonnaise accueillent 25 familles.
▪ Depuis 2014, une soixantaine d'établissements ont servi de refuge à plus de 1000 enfants.
◦ Ce mouvement n'est pas limité à Lyon ; des initiatives similaires existent à Strasbourg, Rennes et Paris.
◦ Ce soutien repose sur la "générosité citoyenne" (parents d'élèves, professeurs, habitants) qui compense les défaillances de l'État.
2. Étude de Cas : Le Parcours d'une Famille Angolaise
Le reportage se concentre sur le témoignage poignant de Lucy (16 ans), Lina (12 ans) et leur mère, qui illustre la réalité humaine derrière les statistiques.
• De l'Angola à la Précarité en France :
◦ Arrivée en France lorsque Lucy avait 10 ans et Lina 5 ou 6 ans.
◦ Premières expériences d'hébergement précaire : le 115 à Dijon dans une chambre partagée, puis un foyer à Digoin.
◦ La journée, la famille devait quitter le 115 et trouver refuge dans des associations (Secours Populaire, églises) pour manger.
◦ Lina décrit sa déception face à la réalité française, loin de l'image idéalisée des dessins animés :
« Un pays super bien, que tout se passait bien, qu'on avait une vie normale ».
◦ Elle a également été victime de moqueries et de racisme à l'école en raison de sa langue et de ses cheveux.
• Le Traumatisme de l'Expulsion Manquée (OQTF) :
◦ Il y a deux ans, la famille a fait l'objet d'une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF).
◦ La police est intervenue en pleine nuit dans leur appartement. Lucy, alors âgée de 14 ans, décrit une scène de panique et de violence :
ses parents criant, son père menotté, et les enfants enfermés dans une chambre avec des policiers.
◦ La famille a été conduite à Paris après 5 heures de route et placée dans un centre de détention pendant 4 heures.
◦ À l'aéroport, leur vol pour l'Angola a été annulé. Les autorités les ont alors "abandonnés à l'aéroport", leur ordonnant simplement "de plus retourner où [ils] étaient".
• La Rupture Familiale et l'Errance :
◦ Après cet épisode, la famille est revenue à Lyon.
Le mariage des parents n'étant pas reconnu en France, leur séparation a suivi. La mère s'est retrouvée seule avec ses enfants.
◦ Ils ont enchaîné les solutions d'hébergement temporaires :
un camping à Trévoux, un appartement à Bellecour, puis une association qui les a logés avec d'autres femmes, avant de trouver refuge dans l'école.
3. La Vie Quotidienne dans une Salle de Classe
L'école, bien qu'offrant un toit, impose des conditions de vie extrêmement contraignantes et précaires.
Aspect
Description
Logement
La famille dort sur des matelas gonflables dans une salle de classe. Les vêtements sont stockés dans les armoires de la classe et des valises.
Routine
Lever obligatoire entre 6h30 et 6h50.
La famille doit quitter les lieux avant 8h30 et ne peut revenir qu'après 18h00, une fois tous les élèves partis.
Discrétion
La nuit, il est interdit d'allumer les lumières pour ne pas attirer l'attention.
La famille utilise les lampes de poche des téléphones pour s'éclairer.
Insecurité
Des jeunes jouant dans la cour sont déjà montés et ont fouillé dans leurs affaires, profitant d'une porte laissée ouverte.
Perturbations
La vie de la famille est rythmée par la sonnerie de l'école, qui retentit "toutes les heures".
Lutte de la mère
Elle cherche activement du travail (nettoyage, restauration) et des formations gratuites, mais sa situation rend les démarches très difficiles.
4. Impacts Psychologiques et Sociaux sur les Enfants
La précarité et l'instabilité ont des conséquences profondes sur le bien-être et le développement des enfants.
• Le Poids du Secret et de la Honte :
◦ Lucy cache sa situation à la plupart de ses amies par peur du jugement :
« J'angoisse un peu, sachant que beaucoup de jeunes de mon âge [...] se permettent de juger tout simplement. »
◦ Elle exprime un profond désir de normalité : « Des fois, je me dis que j'aimerais juste avoir une vie normale comme plein d'ados de mon âge. »
◦ Lina exprime également la peur d'être mise à l'écart par ses camarades parce qu'elle vit dans une école.
• Aspirations et Résilience :
◦ Malgré les épreuves, Lucy est une bonne élève et aspire à devenir avocate.
Son ambition est directement liée à son vécu : « J'ai envie d'être avocate, de défendre les gens parce que je me dis que tout le monde a le droit à une deuxième chance. »
◦ Face à la détresse, elle a développé une stratégie de contrôle émotionnel : « Quand c'est dur, bah je prends sur moi et puis je me dis ça va aller. »
◦ Sa plus grande peur reste matérielle et existentielle : « J'ai peur de me retrouver à la rue. Ça me fait peur. »
5. La Solidarité Face à l'Inaction Institutionnelle
Le reportage oppose la solidarité active du terrain à la réponse passive, voire répressive, des institutions.
• Le Soutien du Corps Enseignant :
◦ Une enseignante de l'école s'est fortement impliquée, dormant sur place la première nuit pour rassurer l'équipe périscolaire.
◦ Elle a accueilli la famille chez elle pendant les vacances de Noël, une période particulièrement symbolique car la famille avait passé le Noël précédent dehors.
◦ Une cagnotte organisée par ses collègues a permis d'offrir des cadeaux et un repas de fête à la famille.
• La Pression de la Hiérarchie :
◦ Suite à l'occupation, l'enseignante et ses collègues ont été convoquées par l'inspectrice d'académie.
◦ La rencontre est décrite comme "un bon remontage de bretelle", où elles se sont fait "engueuler".
L'inspectrice les a qualifiées d' "inconscientes", leur faisant porter "toute la responsabilité" sans reconnaître la vulnérabilité de la famille.
• L'Absence de Solutions Pérennes :
◦ Près d'un an après le début de l'occupation, "il n'y a aucune proposition de la mairie, de la métropole, aucune perspective, rien."
◦ L'occupation de l'école a donc dû se poursuivre au-delà de l'année scolaire, mais avec des règles plus strictes :
la famille n'a plus le droit d'être dans le bâtiment pendant les heures de classe.