Synthèse de l'Audition sur le Service Civique
Résumé
L'audition de la présidente de l'Agence du service civique met en lumière la dualité d'un dispositif de 15 ans, largement salué comme un "vrai succès" par la Cour des Comptes et plébiscité par les jeunes et les structures d'accueil, mais aujourd'hui menacé par des restrictions budgétaires drastiques.
Avec plus de 868 000 participants depuis sa création, le Service Civique s'est imposé comme un outil majeur de cohésion sociale, de mixité et un tremplin d'insertion pour la jeunesse.
Cependant, l'annulation de crédits pour 2025 réduit la cible de 150 000 à 135 000 jeunes, supprimant de fait 15 000 missions et fragilisant un écosystème associatif déjà sous tension.
Les débats ont révélé un large consensus sur la pertinence du dispositif, mais aussi des inquiétudes profondes concernant son financement, les risques de substitution à l'emploi, les allégations de dévoiement idéologique et la tension structurelle entre sa vocation d'engagement citoyen et son rôle de facto dans l'insertion professionnelle.
1. Le Service Civique : Bilan et Impact en Chiffres
Créé par la loi du 10 mars 2010, le Service Civique est un dispositif d'engagement volontaire qui a démontré un impact significatif en 15 ans d'existence.
Fondamentaux du Dispositif
• Public : Jeunes de 16 à 25 ans (jusqu'à 30 ans pour les jeunes en situation de handicap).
• Mission : Mission d'intérêt général auprès d'associations ou d'institutions publiques.
• Durée : Environ 6 mois, avec un maximum de 12 mois.
• Intensité : En 2023, la durée moyenne était de 7 mois avec une intensité hebdomadaire de 27 heures.
• Indemnisation : 620 € par mois.
• Bénéfices : Accompagnement, formation civique et citoyenne (incluant les premiers secours), couverture sociale complète et validation de trimestres de retraite de base.
Bilan Quantitatif
• Total de participants : 868 000 jeunes ont réalisé une mission depuis 2010.
• Missions à l'étranger : 15 000 jeunes ont effectué leur mission à l'international.
• Volume annuel : Près de 90 000 nouvelles missions ont été engagées en 2023.
Pour 2024, le chiffre s'élève à 86 431 entrées en mission, correspondant à l'atteinte de la cible annuelle (avant réduction) de 150 000 jeunes en service civique sur l'année.
• Taux d'occupation : 100 % des places disponibles sont occupées depuis 2023.
Profil des Volontaires et Structures d'Accueil
Le dispositif se caractérise par une forte mixité sociale et de parcours.
Catégorie
Données Clés
Profil à l'entrée
1/3 étudiants, 1/3 demandeurs d'emploi, 1/3 inactifs.
Publics spécifiques
3,3 % de jeunes en situation de handicap.
14 % de jeunes issus des quartiers prioritaires de la ville (QPV).
31 % de jeunes issus de la ruralité.
Structures d'accueil
62 % en associations.
28 % dans l'État et ses opérateurs (ex: Ministère de l'Éducation Nationale).
9 000 organismes d'accueil différents au total.
Taux de Satisfaction et Impact
Le Service Civique est un dispositif très connu et apprécié, tant par les volontaires que par les recruteurs.
• Notoriété : Plus de 9 jeunes sur 10 connaissent le dispositif.
• Satisfaction des volontaires : 85 % des jeunes ayant effectué une mission se déclarent satisfaits.
• Satisfaction des recruteurs : Près de 70 % portent un avis favorable.
• Impact sur le parcours :
◦ Professionnel : 73 % des jeunes déclarent avoir mobilisé leur expérience pour leur parcours professionnel un an après leur sortie.    ◦ Orientation : 63 % l'ont utilisée pour leur orientation ou réorientation.    ◦ Insertion : 80 % des jeunes sont en emploi ou en formation 6 mois après la fin de leur mission.
• Impact sur l'engagement : 56 % des jeunes poursuivent une activité bénévole après leur mission, contre 36 % avant d'y entrer.
2. La Crise Budgétaire : Un Tournant pour le Dispositif
La principale menace pesant sur le Service Civique est d'ordre budgétaire, remettant en cause le consensus politique et la trajectoire de croissance du dispositif.
La Cible Historique de 150 000 Jeunes
Depuis 2017, un consensus national s'est établi autour d'une cible de 150 000 jeunes en service civique sur l'année, ce qui correspond à environ 85 000 nouvelles entrées en mission par an, soit un peu plus de 10 % d'une classe d'âge.
La loi de finances initiale pour 2025 prévoyait les moyens nécessaires pour atteindre cet objectif.
L'Impact des Annulations de Crédits
• Annulation pour 2024 : Plus de 70 millions d'euros ont été annulés.
• Décret d'annulation pour 2025 : Un décret a ramené la cible à 135 000 jeunes sur l'année, supprimant de fait 15 000 missions.
• Conséquences sur la trésorerie : La trésorerie de l'Agence a été réduite d'une norme prudentielle d'un mois à 15 jours, puis à une hypothèse de 6 jours (9 millions d'euros) pour 2025.
• Gel supplémentaire ("surgel") : Un surgel a été appliqué, dont le dégel partiel est espéré par la ministre.
Conséquences sur l'Écosystème
La réduction du nombre de missions a un double effet :
1. Pour les jeunes : 15 000 jeunes seront privés de cette opportunité, alors que la demande est déjà très forte (3 candidatures enregistrées pour 1 mission disponible).
2. Pour les associations : Cette réduction fragilise le tissu associatif, qui accueille la majorité des volontaires et dépend de leur contribution.
Plusieurs intervenants ont souligné que les associations, déjà confrontées à des baisses de subventions, verront leur capacité d'action et d'accueil diminuée.
3. Thèmes Stratégiques et Initiatives Clés
Malgré les difficultés budgétaires, l'Agence du service civique développe des axes stratégiques pour répondre aux priorités nationales et aux aspirations de la jeunesse.
Les Nouvelles Priorités Thématiques
• Service Civique Écologique : Lancé en avril 2024 avec un objectif de 50 000 missions d'ici 2027. La première étape de 1 000 missions supplémentaires a été dépassée, témoignant d'un "réel engouement" de la part des jeunes et de l'écosystème.
• Service Civique Solidarité Senior : Développé dans le cadre du plan "bien vieillir" pour répondre aux enjeux de société liés au vieillissement.
• Lutte contre le harcèlement scolaire : 1 000 missions ont été dédiées à la prévention et à la lutte contre ce fléau en milieu scolaire, un exemple jugé "archétypal" d'une mission réussie où les jeunes complètent l'action des agents publics sans s'y substituer.
Le Lien avec le Service National Universel (SNU)
L'abandon de la généralisation du SNU a eu un impact. Il était anticipé qu'une généralisation aurait massivement augmenté la demande de Service Civique, portant la cible théorique à 25 % d'une classe d'âge.
L'abandon de ce projet évite une amplification de la tension actuelle entre l'offre et la demande, mais la question du décalage reste "posée de manière cruelle".
Le Déploiement dans les Collectivités Territoriales
Le développement du Service Civique s'est historiquement appuyé sur des partenariats avec de grandes associations nationales.
Le déploiement dans les collectivités territoriales reste un axe de progression : seules 192 intercommunalités sur 1254 disposent d'un agrément.
Un travail a été engagé avec Intercommunalité de France pour faciliter l'accueil de volontaires au niveau local, notamment dans les petites communes.
4. Controverses et Préoccupations Soulevées
L'audition a été l'occasion pour les députés d'exprimer plusieurs critiques et inquiétudes majeures concernant le fonctionnement et la finalité du dispositif.
Le Risque de Substitution Ă l'Emploi
• Préoccupation : Des députés (notamment du groupe Écologiste) craignent que le Service Civique ne soit utilisé pour remplacer de "vrais emplois", notamment dans les services publics (ex: missions d'accueil).
• Réponse de l'Agence : C'est une "préoccupation constante" et essentielle. Le Code du service national l'interdit. L'Agence contrôle en amont (agrément) et en aval (signalements). La présidente note que le risque de substitution est plus élevé dans le secteur sportif associatif que dans les services publics, où la satisfaction des jeunes est par ailleurs plus élevée.
Allégations de Dévoiement et Questions de Neutralité
• Préoccupation : Le Rassemblement National, s'appuyant sur un article du Journal du Dimanche, a soulevé le risque de "dévoiement" du dispositif au profit de "structures exclusivement tournées vers l'aide aux migrants" ou d'"écoles privées musulmanes", questionnant le respect de la neutralité républicaine.
• Réponse de l'Agence : La présidente a fermement réfuté ces allégations, qualifiant l'article de "mal documenté". Elle précise que l'association La SIMAD n'a accueilli que deux volontaires depuis 2020 et que l'association La Plume Bleue n'en a jamais accueilli. Elle a rappelé que l'Agence travaille avec les cellules préfectorales de lutte contre l'islamisme radical (CLIR) pour renforcer les contrôles.
Un Outil d'Insertion Professionnelle plutĂ´t que d'Engagement Citoyen ?
• Préoccupation : Un député (groupe UDR) a avancé que le dispositif s'est transformé en "simple contrat jeune", servant davantage l'insertion professionnelle que l'engagement citoyen.
Il s'appuie sur une étude de l'INJEP montrant une corrélation entre le taux de chômage des jeunes et le recours au Service Civique, ainsi que sur les fortes disparités territoriales (27,4 % de participation dans les DROM contre 9,5 % dans l'Hexagone).
• Réponse de l'Agence : La présidente reconnaît que les motivations professionnelles sont une évidence et que le dispositif est un "tremplin vers l'emploi".
Elle insiste cependant sur le fait qu'il s'agit d'une expérience allant au-delà d'un "simple contrat", car elle offre une "expérience concrète des valeurs de la République" et vise à "humaniser le service public".
Inclusivité et Accessibilité
• Préoccupation : Le faible taux de participation des jeunes en situation de handicap (3,3 %) a été souligné (groupe Liot).
• Réponse de l'Agence : Ce chiffre est jugé "certainement insuffisant" mais en progression (+1,5 point en 4 ans).
La principale réponse pour améliorer l'accessibilité de tous les publics est de développer une offre "d'ultra-proximité" sur tout le territoire, afin de ne pas rendre un déménagement nécessaire.
5. Citations Marquantes
Sur le succès et la menace (Présidente de la commission) : "La Cour des comptes a souligné, je cite, que le service civique est un vrai succès malgré quelques fragilités.
Ce constat est donc favorable aujourd'hui et menacé par certaines interrogations pour ne pas dire inquiétude sur le devenir de ce dispositif."
Sur l'essence du dispositif (Priska Tevenot, Ensemble) : "S'engager et apprendre de soi, c'est ce qui distingue le volontariat en service civique du simple job étudiant. [...] Le service civique, c'est une école de l'engagement, une école de la vie."
Sur la rigueur budgétaire (Florence Joubert, Rassemblement National) : "Ce dispositif mérite d'être soutenu à condition qu'il ne soit pas dévoyé.
Car nous parlons tout de même d'un financement public de près de 600 millions d'euros par an."
Sur la substitution à l'emploi (Sophie Tailler Paulian, Écologiste) : "Comment éviter que le service civique ne vienne finalement remplacer de vrais emplois et ne soit pas finalement aussi une sorte de sas [...] avant d'entrer dans un vrai emploi ?"
Sur le sacrifice du Service Civique (Florence Erouin Léotet, Socialiste) : "C'est pourtant pour tenter de sauver ce dispositif [le SNU] en échec que l'on choisirait de sacrifier le service civique, un outil d'émancipation et de fraternité républicaine."
Sur la confusion des genres (Maxime Michelet, UDR) : "Le service civique semble ĂŞtre parfois davantage un outil d'insertion professionnelle que d'engagement citoyen."
Sur la finalité du dispositif (Présidente de l'Agence) : "La promesse [du Service Civique] n'est autre encore une fois que de faire l'expérience de l'intérêt général et de la cohésion républicaine, de la mixité sociale. Donc c'est une promesse effectivement supérieure à celle d'un simple contrat jeune."
Sur la valeur ajoutée (Présidente de l'Agence) : "Il [le Service Civique] ne se substitue pas à l'emploi, aux agents publics, mais il humanise le service public. [...]
C'est vraiment un des moteurs qui fait la différence entre l'engagement de service civique et une simple expérience professionnelle."