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  1. Mar 2025
    1. Briefing Doc : Faut-il en finir avec la démocratie participative ?

      Introduction

      Ce document présente une synthèse des principaux thèmes et idées ressortant de la discussion organisée par l'UNADEL (Union Nationale des Acteurs du Développement Local) autour de la question :

      "Faut-il en finir avec la démocratie participative ?".

      L'événement a réuni des personnalités aux expériences et points de vue divers, notamment * Nicolas Rio (politiste et co-auteur du livre éponyme), * Laurence Bart (maître de conférences et administratrice à l'UNADEL), et * Claire Touri (présidente du Mouvement Associatif).

      La discussion a abordé les constats critiques de la démocratie participative actuelle, les attentes citoyennes révélées par les écoutes territoriales, et le rôle potentiel du mouvement associatif, tout en explorant des pistes pour revitaliser le fonctionnement démocratique.

      Thème 1 : Critique de la démocratie participative actuelle

      Nicolas Rio, s'appuyant sur son livre, a exposé une critique fondamentale de la manière dont la démocratie participative est souvent déployée aujourd'hui.

      Son argument central est qu'elle tend à focaliser les efforts sur l'expression des citoyens, partant du principe que le problème réside dans un manque de voix citoyenne.

      Or, selon lui, le problème majeur se situe davantage du côté de la "surdité des institutions" :

      "...le problème c'est pas que les citoyens ne s'exprimeraient pas euh mais davantage que les pouvoirs publics dans leur diversité ne sont pas en capacité euh de d'entendre euh ce que les citoyens formulent..."

      Rio souligne que la multiplication des dispositifs participatifs (conseils de quartier, conventions citoyennes, consultations en ligne) contraste avec un "constat d'impuissance" remontant du terrain, tant de la part des professionnels que des citoyens impliqués.

      Il remet en question la "fausse équivalence entre participation et démocratie", arguant que plus de participation ne signifie pas nécessairement plus de démocratie, et inversement.

      Un autre point critique majeur concerne l'égalité démocratique. Rio met en lumière le fait que les dispositifs participatifs ont tendance à attirer les mêmes profils de participants (diplômés, âgés, déjà engagés), renforçant ainsi les inégalités de représentation et laissant de côté les "inaudibles" :

      "...globalement c'est euh souvent les mêmes profils qu'on retrouve dans la plupart des dispositifs participatifs euh les variables les plus discriminantes étant le niveau de diplôme et l'âge..."

      Il soutient que ces dispositifs peuvent même "décupler ces inégalités de représentation" en donnant davantage la parole à ceux qui l'ont déjà, au détriment de ceux qui sont en retrait de la vie démocratique.

      Enfin, Rio questionne la capacité transformatrice réelle de ces dispositifs, les considérant comme dépendants de l'institution initiatrice et soumis à un "biais de confirmation", où seuls les avis conformes aux orientations initiales ont tendance à être retenus.

      Il alerte sur le risque que l'engouement pour la démocratie participative masque la "fragilisation de nos contrepouvoirs".

      Thème 2 : Attentes citoyennes et la "démocratie du faire"

      Laurence Bart a partagé les enseignements tirés des écoutes territoriales menées par l'UNADEL.

      Ces écoutes révèlent un "formidable fourmillement d'initiative" et d'engagements citoyens diversifiés et souvent informels, participant parfois à l'attractivité des territoires.

      Cependant, elles mettent également en évidence des "effets d'usure" liés aux difficultés rencontrées, un manque de connexion entre les initiatives, et une "difficulté à faire projet commun" avec les institutions.

      Bart observe une transformation des modes d'organisation avec une "prime à l'informel" et des engagements à géométrie variable, une "quête de sens" individuelle et collective, une action tournée vers les dimensions de "l'habité" et les droits fondamentaux, une recherche de "reconnexion au territoire" sans enfermement, et une logique d'"expérience d'action pragmatique" qu'elle nomme "démocratie du faire".

      Cette "démocratie du faire" est confrontée à trois défis majeurs :

      • Le défi du "faire savoir" et de la reconnaissance de l'expertise citoyenne et de sa légitimité.
      • Le défi de la "coopération" et de l'élargissement des cercles d'engagement.
      • Le défi de la "coconstruction d'un projet politique" autour des communs et de l'habitabilité.

      Thème 3 : Rôle et attentes du mouvement associatif

      Claire Touri a apporté la perspective du mouvement associatif.

      Elle reconnaît les tensions démocratiques actuelles (distance avec les représentants, défiance envers les institutions) tout en soulignant une forte mobilisation citoyenne (20 millions de bénévoles).

      Pour elle, la démocratie participative ne doit pas se limiter à de la consultation mais doit mettre les citoyens en situation de "construire".

      Elle estime qu'il n'est pas nécessaire de recourir à la démocratie participative "tout le temps et à tous les étages".

      L'expérience de la Convention Citoyenne sur la Fin de Vie est éclairante.

      Touri souligne que le recours à une telle instance se justifie sur des sujets complexes où les espaces de représentation traditionnels peinent à trouver un consensus.

      La convention devient alors un "nouveau maillon dans la construction de la décision".

      Cependant, elle pointe un problème majeur : le manque de pouvoir des assemblées citoyennes et des corps intermédiaires pour garantir que leurs travaux soient pris en compte, dépendant souvent de la "bonne volonté de quelques personnes".

      Touri insiste sur la nécessité de "recréer des espaces de politisation" au sens d'espaces où se construit une "conflictualité positive".

      Elle s'inquiète d'une "dépolitisation" alimentée par des dispositifs d'engagement parfois superficiels. Pour elle, les corps intermédiaires ont un rôle crucial à jouer dans cette repolitisation.

      Elle conteste l'idée que la seule légitimité soit celle de l'élection, plaidant pour la reconnaissance de différentes sources d'intelligence et de légitimité dans la construction de la décision.

      Pistes et Préconisations

      Plusieurs pistes pour revitaliser la démocratie ont été évoquées :

      • Renforcer la capacité d'écoute des institutions plutôt que de se concentrer uniquement sur l'expression citoyenne (Nicolas Rio).
      • Redonner de la substance à la délibération politique au sein des institutions représentatives (Nicolas Rio).
      • S'inspirer du rôle du Défenseur des Droits pour prendre en compte les sentiments d'injustice et les traduire en actions collectives (Nicolas Rio).
      • Viser un objectif redistributif dans les dispositifs participatifs pour faire entendre la voix des "inaudibles" (Nicolas Rio).
      • Travailler sur le "faire savoir" et la reconnaissance de l'expertise citoyenne (Laurence Bart).
      • Développer la coopération et l'élargissement des cercles d'engagement (Laurence Bart).
      • Coconstruire un projet politique autour des communs et de l'habitabilité (Laurence Bart).
      • Revaloriser le rôle des corps intermédiaires comme espaces de démocratie du quotidien et de politisation (Claire Touri).
      • Admettre différentes sources de légitimité au-delà de l'élection (Claire Touri).
      • Envisager des assemblées politiques avec une part de citoyens tirés au sort pour une meilleure représentativité sociologique (Nicolas Rio).
      • Former les élus à l'écoute et redéfinir les cadres participatifs avec des objectifs clairs (résultats du sondage).
      • Réviser l'écosystème de la démocratie représentative, notamment au niveau local (intervention d'un élu).
      • Réactiver le développement local comme espace de "politique du faire" (Jean-Louis Pinot).
      • Réintroduire la "joie" dans la démocratie (citation d'une participante).
      • Gérer la controverse comme moteur de progrès (conclusion).

      Conclusion

      La discussion a mis en lumière une insatisfaction partagée quant au fonctionnement actuel de la démocratie, y compris dans ses formes participatives.

      Si la démocratie participative suscite un engouement et peut apporter des éclairages précieux, elle n'est pas exempte de critiques concernant son efficacité, sa représentativité et son impact réel sur les décisions publiques.

      Les intervenants ont souligné la nécessité de ne pas opposer démocratie représentative et participative, mais plutôt de les envisager comme complémentaires, en insistant sur la nécessité de renforcer la première et de repenser la seconde pour qu'elle contribue véritablement à une démocratie plus inclusive, à l'écoute et capable de répondre aux défis contemporains.

      La "conflictualité positive" et la reconnaissance de multiples légitimités apparaissent comme des éléments clés pour une revitalisation démocratique réussie.