6 Matching Annotations
  1. Dec 2019
    1. p. 176

      le rôle à la fois essentiel et limité que la lecture peut jouer dans notre vie spirituelle

      L'esthétique de la lecture développée par Proust paraît rejoindre la réflexion de Paul Valéry dans son "Discours sur l'esthétique" (1937). Valéry distingue l'esthésique, ("l'étude des sensations", des "modifications sensorielles", des "excitations" et des "réactions sensibles") et le poïétique ("qui concerne la production des oeuvres" et procure "une idée générale de l'action humaine complète"). La philosophie proustienne de la lecture relèverait en ce sens de l'esthésique valéryenne :

      C'est donner un trop grand rôle à ce qui n'est qu'une incitation d'en faire une discipline. La lecture est au seuil de la vie spirituelle; elle peut nous y introduire : elle ne la constitue pas. (p. 178)

      et

      […] si une impulsion extérieure [ici, la lecture] ne venait les réintroduire en quelque sorte de force dans la vie de l'esprit, où ils retrouvent subitement la puissance de penser par eux-mêmes et de créer. (p. 178)

      Puissance de penser et de créer. Ce qui "constitue" pour Proust la "vie spirituelle", ce serait plutôt la poïesis, la production de l'oeuvre, c'est-à-dire "cette activité créatrice qu'il s'agit précisément de ressusciter [par la lecture]" (p. 179).

    2. p. 164-165

      Une multiplicité d'objets permettent au narrateur de se remémorer la configuration de la chambre : les « hautes courtines blanches », les « couvre-pieds en marceline », les « courtes-pointes à fleurs », les « couvre-lits brodés », les « taies d’oreillers en batiste », la « trinité du verre à dessins bleus, du sucrier pareil et de la carafe », l’« ampoule de verre » et sa « précieuse liqueur de fleur d’oranger », les « petites étoles ajourées au crochet », la « cloche de verre », « la pendule », les « coquillages », la « blanche nappe de guipure », les « deux vases », l’« image du Sauveur », le « buis bénit » et le « prie-Dieu ».

      Préparant cet espace-temps du « non-moi » (explicité en p. 167), ces objets produisent un effet (aesthesis) dépersonnalisant - et curatif - sur le narrateur :

      […] toutes ces choses qui non seulement ne pouvaient répondre à aucun de mes besoins, mais apportaient même une entrave, d'ailleurs légère, à leur satisfaction, qui évidemment n'avaient jamais été mises là pour l'utilité de quelqu'un, peuplaient ma chambre de pensées en quelque sorte personnelles […] la remplissaient d'une vie silencieuse et diverse, d'un mystère où ma personne se trouvait à la fois perdue et charmée […] (p. 166)

    3. p. 164

      Mais c'est justement de ces choses qui n'étaient pas là pour ma commodité, mais semblaient y être venues pour leur plaisir, que ma chambre tirait pour moi sa beauté.

      La chambre de Proust devient ce lieu d’une récollection d’objets infonctionnels et disparates d’où procède une expérience esthétique. Dans Les Objets désuets dans l'imagination littéraire, Fernando Orlando en explicite les aspects de "défonctionnalisation" et de "refonctionnalisation" qui deviennent pour Proust "source de plaisir" esthétique (p. 595 et sq.).

  2. Nov 2019
    1. des exemples merveilleux de cette espèce rigoureuse de beauté

      La beauté n’est pas qu’une affaire floue et imprécise réservée aux artistes; les géomètres sont capables d’une réelle beauté, et qui plus est rigoureuse!

    2. L’élégance inattendue nous enivre.

      L’architecture ne peut s’en remettre qu’aux seules lois mathématiques; il y a d’autres principes qui produisent l’effet esthétique; le hic, c’est que, contrairement aux mathématiques, ces principes sont flous.

  3. Jan 2018
    1. Plus qu’une vérification des informations, la multiplication des fakes appelle un travail d’éditorialisation, qui recontextualise les contenus partagés en explicitant les logiques transactionnelles[+] NoteVoir les travaux de Manuel ZACKLAD, notamment Transactions communicationnelles symboliques et communauté d'action : réflexions préliminaires , colloque de Cerisy "Connaissance Activité Organisation », 2003 ou « La théorie des transactions intellectuelles : une approche gestionnaire et cognitive pour le traitement du COS », Intellectica, Paris, ARCo,2000/1, 30, pp. 195-222. [9] qui les motivent. Cela suppose non seulement de reconnaître la multiplicité des points de vue, mais aussi leur mobilité dans l’espace et le temps en tant que productions sociales situées, le vrai n’étant que le frottement continu des informations et des contre-informatio

      On a effectivement intérêt à s'outiller pour être en mesure de qualifier les "logiques transactionnelles" à l'oeuvre en sous-texte de nos discussions (comme des dispositifs tels que hypothèse.is nous aident à le faire). Cependant, je me demande quelle conscience commune nous pourrons cultiver de l'impact de notre manière de vivre l'allure (esthétique) de nos délibérations. Car, cela me semble un horizon à viser en plus (outre la maîtrise des moyens techniques de la construction de connaissances partageables) si nous espérons que notre collaboration (et co-éditorialisation) permette de dégager des conclusions relativement stables - provisoires ou non. Si nous voulons cultiver un milieu propice à élaborer une véritable sphère intersubjective (un espace formé de valeurs et structuré autour de certains repères), la dynamique même de nos échanges doit aussi faire l'objet d'une éducation à la fois théorique et technique et, de ce point de vue, il importe de transformer la crise de la vérité (bien réelle) qui affecte notre société en une opportunité concrète de nous rappeler l'utilité d'une formation critique. Mais, cette occasion de bâtir de manière concertée des bases pour une nouvelle co-appartenance ne portera tous ses fruits que si nous articulons à l'enjeu de la formation à une littératie numérique (où la fonction de l'éditorialisation dans la constitution de l'environnement demeure à définir), le souci pour la sensibilisation du public en général (et du monde de l'éducation en particulier) à la question du rôle du développement d'un sens esthétique dans l'effort collectif pour constituer du sens en communs.