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  1. Sep 2025
    1. Document d'Information : Synthèse de la 18ème Journée du Refus de l'Échec Scolaire

      Résumé

      La 18ème Journée du Refus de l'Échec Scolaire (JRES), organisée par l'AFEV, a porté sur le thème "Jeunesses populaires rurales et urbaines : même combat face aux inégalités éducatives ?".

      L'événement a mis en lumière les convergences et les divergences entre ces deux jeunesses, souvent opposées dans le discours public via la formule "jeunesse des tours, jeunesse des bourgs".

      Les débats ont révélé que, bien que confrontées à des défis spécifiques liés à leur territoire (mobilité pour les ruraux, discriminations pour les urbains), ces jeunesses partagent des problématiques communes profondément ancrées dans les inégalités sociales.

      Une enquête exclusive de Trajectoires Réflex, menée auprès de 1500 lycéens, a démontré la prépondérance du milieu social sur le lieu de vie dans la détermination des parcours scolaires et des aspirations.

      Les jeunes des classes populaires, qu'ils soient ruraux ou urbains, s'orientent davantage vers des filières courtes, tandis que les jeunes de classes supérieures visent des études longues. L'étude souligne également une anxiété partagée face à l'orientation, notamment à cause de Parcoursup.

      Les intervenants, incluant le sociologue Benoît Coquard, des élus locaux, des acteurs associatifs et des chercheurs, ont unanimement appelé à dépasser les oppositions stériles.

      Ils ont souligné l'importance de reconnaître les réalités diverses des territoires, les dynamiques d'autocensure, la complexité de la mobilité (partir, rester, revenir) et l'impact de l'isolement.

      Un consensus s'est dégagé sur l'urgence de refonder des politiques publiques décloisonnées, de repenser le modèle de la méritocratie et de valoriser toutes les formes de réussite et d'engagement pour reconstruire un "destin commun" et garantir une véritable égalité des chances pour tous les jeunes.

      1. Thématique Centrale : Dépasser l'Opposition "Tours vs. Bourgs"

      La 18ème JRES a été initiée pour analyser l'articulation entre les jeunesses populaires rurales et urbaines, un parallèle popularisé par la formule "jeunesse des tours, jeunesse des bourgs".

      Les intervenants ont largement critiqué l'instrumentalisation politique et médiatique de cette opposition.

      Origine de la réflexion (Eunice Mangado-Lunetta, AFEV) : L'AFEV, historiquement ancrée dans les Quartiers Prioritaires de la politique de la Ville (QPV), a constaté que "la France qui va mal, on la retrouve partout".

      L'association a remis en question le discours opposant un "bloc métropolitain" riche à un "bloc périphérique" en difficulté, discours souvent utilisé pour critiquer l'investissement public dans les QPV au détriment d'une "France qui souffre silencieusement dans les campagnes".

      Perspective sociologique (Benoît Coquard) : Le sociologue, parrain de l'événement, a souligné que cette formule est un slogan efficace mais "en partie trompeur".

      Il a expliqué que l'enjeu politique actuel est de se réclamer de la ruralité, devenue un "faire-valoir" et un "écran de fumée" masquant les questions sociales.

      Il insiste sur la nécessité de parler des "ruralités" au pluriel, car il existe des écarts de richesse et des dynamiques démographiques très variés entre les campagnes, tout comme dans les villes.

      Objectif de la journée : L'objectif n'était pas d'opposer ces jeunesses ni de mettre un signe égal entre elles, mais de "chercher du commun" tout en reconnaissant ce qui diffère, afin d'éviter les "oppositions stériles". L'enquête présentée visait spécifiquement à superposer le filtre territorial et le filtre social pour une analyse plus juste.

      2. Enquête Trajectoires Réflex : Données Clés sur les Lycéens

      Une enquête a été réalisée de mai à juillet 2025 auprès de plus de 1500 lycéens de filières générales, technologiques et professionnelles.

      L'échantillon comprenait 41% de jeunes de communes rurales et 26% de jeunes de petites villes. L'analyse croise le lieu de vie avec le milieu social (défini par le diplôme et la CSP des parents).

      2.1 Orientation et Projections d'Études Le milieu social apparaît comme le facteur prépondérant dans les choix d'orientation, plus que le lieu de vie.

      Rapport au lycée :

      ◦ 94% des jeunes disent avoir choisi leur filière.

      ◦ 70% ressentent de la pression liée aux cours et aux résultats.

      ◦ Plus d'un tiers déclare avoir des difficultés d'apprentissage, une part plus importante chez les jeunes de classes populaires.

      Orientation post-bac : ◦ 61% se sentent bien informés, mais 58% sont inquiets.

      ◦ Le stress est principalement causé par les démarches Parcoursup et le flou du projet d'orientation.

      Aspirations :

      ◦ 80% souhaitent poursuivre des études supérieures.

      ◦ L'influence du milieu social est nette : les jeunes urbains de classe supérieure privilégient les études longues (Master, Grande École), tandis que les jeunes ruraux de classe populaire ciblent davantage les filières courtes pour une insertion plus rapide sur le marché du travail.

      Type d'études Jeunes de classe populaire RURALE Jeunes de classe populaire URBAINE Filière courte (BTS/BUT) 32% 16% Niveau Master 38% 55%

      Sens donné aux études : Pour les jeunes de classe supérieure, la "réussite personnelle" prime. Pour ceux des milieux populaires, c'est avant tout le fait de "gagner de l'argent".

      2.2 Mobilité, Attachement et Avenir

      Attachement au territoire : 82% des jeunes partagent un fort attachement à leur lieu de vie. Cet attachement est plus marqué chez les jeunes ruraux (85%) et encore plus chez les jeunes ruraux de classe populaire (90%).

      Projet de départ : ◦ 69% se préparent à partir de chez leurs parents pour leurs études.

      ◦ Ce sont les jeunes de milieux favorisés et les jeunes ruraux qui sont les plus nombreux à se préparer à partir.

      ◦ Cependant, le départ est plus souvent subi par les ruraux : 17% des jeunes ruraux parlent d'une "contrainte à quitter le domicile familial", contre seulement 9% des jeunes citadins.

      Bien-être et difficultés :

      ◦ 84% se sentent bien au quotidien, mais 64% témoignent de leur anxiété.
      

      ◦ 1 jeune sur 5 se sent isolé. Ce sentiment est plus prononcé chez les jeunes de classe populaire rurale (21%) que chez les urbains (15%).

      ◦ Les difficultés financières sont plus fréquentes chez les jeunes de milieu populaire (40% vs 14% chez les enfants de Bac+5).

      • Projection sociale :

      ◦ Seuls 36% des citadins et 25% des ruraux pensent avoir une meilleure vie que leurs parents. 45% ne savent pas.

      ◦ Les jeunes de milieu populaire semblent plus optimistes, espérant une ascension sociale. Cependant, un clivage territorial existe : 42% des citadins de milieu populaire ont une image positive de leur avenir, contre 31% des ruraux de milieu populaire.

      2.3 Mobilité Quotidienne et Déplacements Les difficultés de déplacement sont significativement plus marquées pour les jeunes ruraux.

      • Seule la moitié (50%) des jeunes de classe populaire rurale déclare qu'il est facile pour eux de se déplacer, contre 90% des jeunes de classe populaire urbaine.

      Dépendance à la voiture : 53% des jeunes ruraux utilisent la voiture au quotidien (contre 12% des citadins). Le permis est jugé indispensable pour 80% des ruraux (contre 55% des citadins).

      2.4 Rapport aux Institutions et à l'Engagement

      Discriminations :

      ◦ 36% des jeunes déclarent en avoir été victimes, principalement à l'école (94% des cas).

      ◦ Le sentiment est plus marqué chez les jeunes urbains (43% vs 31% des ruraux).

      ◦ Les motifs varient : pour les citadins de classe populaire, les discriminations sont liées à l'origine, l'apparence et les convictions. Pour les ruraux de classe populaire, elles sont liées à l'apparence, la classe sociale et l'état de santé.

      Confiance dans les institutions : La confiance est plus forte chez les jeunes de classe supérieure et les jeunes ruraux.

      ◦ Police : 83% des jeunes ruraux de milieu modeste font confiance à la police, contre 58% des jeunes urbains de milieu modeste.

      ◦ Une méfiance généralisée est partagée envers les médias (42% de confiance), les réseaux sociaux (21%) et surtout la classe politique (16%).

      Rapport au vote et à l'engagement : ◦ Le rapport au vote est socialement inégal : 60% des jeunes de milieu favorisé pensent voter, contre 46% des enfants de non-diplômés.

      ◦ 44% des jeunes ne savent pas s'ils comptent s'engager plus tard. Ce doute est plus fort chez les jeunes ruraux.

      3. Parcours de Vie et Analyses Croisées

      3.1 Le Témoignage de Benoît Coquard : Du Rural à la Sociologie

      Le sociologue Benoît Coquard a partagé son parcours personnel, emblématique des barrières et des aléas qui façonnent les destins.

      Origines : Vient d'un village de Haute-Marne, un département avec très peu de cadres. Ses parents, "petits fonctionnaires", ont quitté l'école à 14-15 ans. Il n'avait "pas de modèle estudiantin".

      Bifurcation : Doit sa mobilité sociale à "l'intervention un peu divine, un peu aléatoire" de sa sœur qui l'a poussé vers les études supérieures.

      Il souligne que sans l'inexistence de Parcoursup à l'époque, il n'aurait pas pu s'inscrire à l'université avec son "mauvais dossier scolaire".

      Rapport à l'école : Mauvais élève, il a raté son bac. L'école était pour lui "la seule scène sociale sur laquelle [il était] parfois dévalorisé". Il décrit la construction d'une "culture anti-école" où l'on développe des modèles de reconnaissance alternatifs (sport, sociabilité locale).

      Analyse sociologique : Son travail de recherche, notamment Ceux qui restent, l'a amené à étudier son propre milieu.

      Il met en évidence que les jeunes ruraux croient davantage en leurs "ressources d'autochtonie" (réseau local, piston) pour s'en sortir, ce qui peut les détourner de l'école.

      À l'inverse, les jeunes des quartiers, souvent issus de l'immigration, surinvestissent l'école car leurs parents n'ont pas ce capital d'autochtonie.

      3.2 Le Témoignage d'Yvon Atonga : Destins Divergents en Banlieue

      Yvon Atonga, co-auteur de Petit frère, a raconté son histoire et celle de son frère Wilfried, qui a grandi dans le même environnement à Villiers-le-Bel mais a connu un destin tragique.

      Points de bifurcation : Il identifie plusieurs moments clés qui ont séparé leurs trajectoires :

      1. L'intervention de sa mère : Un jour, alors que ses amis venaient le chercher, sa mère leur a dit qu'il n'était pas là car il faisait ses devoirs. Ses amis sont partis commettre un braquage et ont été condamnés à de lourdes peines.

      2. Un voyage au Congo : À 15 ans, un voyage dans son pays d'origine a été un "électrochoc", lui faisant prendre conscience des opportunités qu'il avait en France.

      La loyauté au quartier : Il décrit une "loyauté indiscutable" au groupe d'amis et au quartier, qui représente une "deuxième famille". Partir est souvent perçu comme une "trahison".

      Il insiste sur le fait qu'il revient aujourd'hui au quartier via son association pour "ne pas trahir" et "transmettre aux petits frères et aux petites sœurs".

      3.3 Regards des Acteurs de Terrain

      Élus locaux (Fabrice Bossui, Driss Étaoui) : Ils dénoncent le manque de concertation sur des sujets cruciaux comme la carte scolaire, qui impose des temps de transport démesurés aux jeunes ruraux.

      Ils soulignent l'évitement scolaire massif vers le privé qui accentue la ségrégation et la concentration de la pauvreté dans certains établissements publics.

      • ANCT (Corine de la Maîtrise) : Rappelle que si le milieu social reste un "déterminant majeur", le territoire module les trajectoires.

      L'objectif est de "lutter contre les inégalités de destin territorial".

      Elle souligne que 30% des QPV se situent aujourd'hui dans des petites ou moyennes villes, brouillant la frontière traditionnelle entre politique de la ville et ruralité.

      Elle alerte sur le fait qu'il faut "12 générations pour sortir de la pauvreté quand on vient d'un QPV", contre 9 en moyenne en France.

      Acteurs associatifs (Salomé Berlou, Ashraf Manar) : Ils appellent à dépasser une vision "victimaire" des jeunes des territoires populaires.

      Ces jeunes sont des acteurs engagés dans leurs localités, même si cet engagement n'est pas toujours formalisé ou reconnu.

      Leurs associations (Rura, Destins Liés) visent à outiller ces jeunes pour qu'ils aient le "choix" de leur parcours, en luttant contre l'autocensure et en créant des ponts entre les territoires.

      4. Conclusions et Perspectives • Le primat du social : La journée a réaffirmé que la question sociale est le fil rouge qui relie les difficultés des différentes jeunesses populaires, bien au-delà des spécificités territoriales.

      La complexité du "partir/rester" : Le départ n'est pas toujours un choix émancipateur mais souvent une contrainte, notamment pour les ruraux.

      Rester n'est pas forcément un échec mais peut correspondre à un attachement profond, tout en étant parfois synonyme d'assignation à résidence.

      L'isolement et la santé mentale : La solitude, que ce soit dans un village éloigné ou dans une cité universitaire après le départ, est une problématique centrale et croissante qui impacte lourdement les parcours.

      La crise de la méritocratie : Les intervenants ont critiqué le modèle méritocratique qui invisibilise les déterminismes sociaux et territoriaux, et qui génère de la frustration.

      La promesse "travaille bien à l'école et tu réussiras" n'est plus tenue.

      L'urgence de refonder du commun : La conclusion, portée par Benoît Coquard et Christophe Paris (AFEV), est un appel à dépasser l'individualisme et la concurrence entre territoires.

      Il est crucial de reconstruire des "consciences collectives" et un "sentiment du nous" pour s'attaquer collectivement aux inégalités systémiques.

      Cela passe par des politiques publiques qui valorisent toutes les formes de contribution au bien commun et qui garantissent à chaque jeune les moyens d'une "vraie autodétermination de son parcours".