D’abord, il nous semble que la communication numérique offre la possibilité de combler de nombreux besoins existentiels, narcissiques et sociaux, difficiles à satisfaire dans les phénomènes hors ligne. Ces derniers sont souvent générés ou amplifiés par une société toujours plus individualiste et ambivalente. D’un côté, elle génère de nouveaux besoins toujours plus narcissiques, auxquels adolescents et jeunes adultes sont si sensibles (e.g. le besoin de popularité) et, de l’autre côté, elle provoque nombre de frustrations. Comme l’enfant séparé de sa mère trouve dans son « doudou » un moyen de se rassurer, le smartphone, objet transitionnel, ne permettrait-il pas de lutter contre les frustrations et affects négatifs provoqués par le monde social ? En étant connecté en permanence à ses amis et en pouvant « se raccrocher » à des environnements en ligne familiers, comme sa page Facebook ou Instagram, le mobinaute, éloigné de son environnement familier, ne se sentirait-il pas alors davantage en sécurité affective, comme dans son foyer où il a ses repères et habitudes rassurant ? La connexion permanente, notamment aux RSN, l’assurerait qu’il appartient bien à des groupes sociaux. Une forte activité sur les RSN, ne lui donnerait-elle pas l’impression qu’il est un acteur socialement central et important ? De nouvelles recherches sont donc nécessaires pour mieux comprendre comment s’opère la formation de ces représentations et le rôle qu’elles jouent dans la communication numérique. 38Quelques autres pistes à creuser concernent les motivations poussant à l’usage des TIC. Si la connexion permanente permet de lutter contre la peur du mobinaute de rater quelque chose (FOMO) et d’être exclu socialement, elle peut également le rassurer sur sa popularité. Elle lui transmet instantanément, par les like, retweet et autres notifications, des signes de reconnaissance d’autrui contribuant à satisfaire des besoins personnels et sociaux de construction narcissique et identitaire via les interactions sociales numériques. Cependant, il serait intéressant d’étudier la possible fonction de la communication numérique conduisant à combler par des artefacts un « vide existentiel » chez les gros utilisateurs. Par exemple, il semblerait que la connexion permanente soit particulièrement appréciée parce qu’elle offre la possibilité de répondre immédiatement et en permanence à des besoins de stimulation et de divertissement à court terme lors des nombreux moments d’ennui ressentis par l’internaute souffrant d’un problème existentiel. Comment évolue alors cette carence en fonction, par exemple, de l’usage intensif des RSN ? 21 http://insights.fb.com/2016/02/08/the-multidevice-movement-teens-in-france-and-germany/, consulté l (...) 39Les technologies mobiles sont devenues des entités faisant si intimement partie de nous qu’elles représenteraient une extension de notre corps physique, « un cordon ombilical qui ancre l’infrastructure digitale de la société de l’information à nos corps » (Harkin, 2003, p. 16). D’ailleurs, un grand nombre d’adolescents considèrent leur smartphone comme leur « seconde peau »21. Plus les personnes ont la possibilité d’exercer un contrôle sur leurs biens matériels comme elles contrôlent leur corps, plus ces biens deviennent étroitement liés à leur soi. Consciemment ou non, ces biens matériels fabriquent alors un « soi augmenté » (Belk, 2013). Jusqu’à quel point l’incapacité d’utiliser le smartphone ou sa perte peuvent-elles être perçues comme une diminution angoissante du soi ? Cette diminution touche-t-elle la partie narcissique, sociale ou plus corporelle du soi ? Dans ce dernier cas, le smartphone pourrait-il être intégré dans le schéma du corps et traité par le cerveau comme étant incarné en lui (Clark, 2008) ? Autant de questions auxquelles de nouvelles recherches devront répondre.
Les auteurs proposent ici des hypothèses de recherche pour expliquer la robustesse du lien entre usagers et technologies numériques (Internet, RSN, smartphone), que de nouvelles recherches pourront, à l'avenir, venir interroger.
Tout d'abord, les auteurs développent ici à nouveau, via un raisonnement épistémique abductif, leur thèse selon laquelle la communication numérique vient combler un certain nombre de besoins existentiels, narcissiques et sociaux, tel que le besoin de popularité. La connexion intense, voire permanente, notamment aux RSN, induirait un sentiment d'appartenance sociale et de sécurité affective chez le sujet, pour lequel le smartphone agirait comme une sorte d'objet transitionnel, et améliorerait l'image de soi. De nouveaux travaux de recherche pourront analyser la formation de ces représentations et la manière dont elles façonnent le lien des utilisateurs à ces technologies numériques.
Les auteurs avancent d'autres causes au phénomène de connexion permanente aux TIC, précédemment évoquées dans l'article, telles que la FOMO, la peur d'être exclu socialement, le besoin de popularité, le besoin de reconnaissance sociale. Ils ouvrent sur une nouvelle piste, à savoir l'effet compensateur des TIC, qui contribuerait à pallier un sentiment d'ennui et à combler un "vide existentiel" en offrant des espaces récurrents de stimulation et de divertissement, procurant à l'utilisateur compulsif un bénéfice à court terme. Ils proposent d'étudier dans la durée comment évoluerait ce sentiment de "vide existentiel" en fonction de l'usage intensif des RSN fait par l'utilisateur.
A noter, parmi les causes de l'usage intensif des TIC évoqué, ils ne font pas référence aux usages déterminés par l'évolution récente des pratiques professionnelles (par exemple, usage des applications de vidéo-conférence (pour les employés, cadres...) ou de télé-consultation (pour les soignants), usages des applications "Uber" pour les chauffeurs Uber, usage des applications "Deliveroo" ou "Uber Eats" pour les livreurs, etc...). Ou encore, l'utilisation croissante des TIC liée au développement des objets connectés (par exemple : possibilités d'activer à distance et de piloter au domicile des utilisateurs le chauffage ou la climatisation, les volets électriques, les prises des appareils électriques, des caméras de surveillance, le four, l'aspirateur, etc...). Ces usages peuvent être qualifiés d'intenses car ils conduisent à augmenter le volume d'heures journalier de connexion aux TIC, mais ne sont pas nécessairement associés à des affects négatifs. Ils traduisent simplement l'évolution sociétale des pratiques professionnelles et des habitudes ou modes de vie personnels.
Les auteurs introduisent enfin une nouvelle hypothèse, selon laquelle les technologies mobiles contribueraient à créer chez leurs utilisateurs un sentiment de "soi augmenté" (Belk, 2013), perçu par leurs utilisateurs comme faisant tellement partie d'eux-mêmes qu'ils représenteraient comme une extension de leur corps physique. Ils interrogent la dimension narcissique, sociale et corporelle de ce concept, et les conséquences sur la manière dont le cerveau appréhende le smartphone et le lie au schéma corporel. Ces arguments ne sont toutefois pas étayés par des éléments plus précis. SI le sentiment de dépendance élevé aux smartphones paraît acquis, pour autant l'hypothèse selon laquelle ceci modifie la perception du schéma corporel de l'utilisateur demande à être davantage creusée et corroborée. Les auteurs suggèrent de nouvelles pistes de recherche sur ces aspects.