Document d'Information : Prise en Charge de la Santé Mentale et du Handicap par l'Assurance Maladie
Résumé
Ce document synthétise les stratégies, les actions et les défis de l'Assurance Maladie (CNAM) concernant la prise en charge de la santé mentale et du handicap, tels que présentés lors d'une audition devant une commission d'enquête de l'Assemblée nationale.
La santé mentale représente le premier poste de dépenses de l'Assurance Maladie, avec près de 28 milliards d'euros annuels, dans un contexte de dégradation des indicateurs, notamment une augmentation de plus de 60 % de la consommation d'antidépresseurs chez les jeunes entre 2019 et 2023.
Face à cet enjeu, la CNAM déploie une stratégie axée sur la prévention, la détection précoce et l'organisation de nouvelles filières de soins, incarnée par le dispositif "Mon Soutien Psy" qui a déjà bénéficié à plus de 900 000 assurés.
Concernant le handicap, l'action se concentre sur l'amélioration de l'accès aux soins, une difficulté majeure confirmée par le baromètre Handifaction qui révèle que près de 30 % des personnes concernées rencontrent des obstacles (refus de soins, renoncement).
Les leviers mobilisés incluent l'intégration de mesures spécifiques dans les conventions avec les professionnels de santé (ex: "consultations blanches") et le soutien à des modèles innovants comme les centres "Handiconsulte".
Deux enjeux transversaux majeurs émergent : la conviction que l'investissement dans la prévention génère un retour médico-économique significatif (un euro investi en prévention en santé mentale en rapporterait quatre) et la nécessité de développer des modèles de remboursement pour des professionnels non conventionnés au niveau national (psychomotriciens, ergothérapeutes), ce que la CNAM se dit prête à mettre en œuvre.
Enfin, une alerte forte est lancée sur les pénuries de médicaments, dont certaines sont attribuées non pas à des difficultés d'approvisionnement, mais à des stratégies commerciales de laboratoires qui cessent de livrer la France suite à des négociations sur les prix, qualifiées de "chantage".
Axe 1 : Amélioration de l'Accès aux Soins pour les Personnes en Situation de Handicap
Diagnostic : Difficultés d'Accès et Manque de Données
L'Assurance Maladie identifie l'accès aux soins des personnes en situation de handicap comme un axe prioritaire.
Le diagnostic s'appuie notamment sur le baromètre Handifaction, dont la gestion a été internalisée par la CNAM pour lui donner une plus grande ampleur.
Les résultats de ce baromètre sont clairs :
• Près de 30 % des personnes interrogées déclarent des difficultés d'accès aux soins.
• Ces difficultés incluent des situations de refus de soins, de renoncement ou la nécessité de contacter plusieurs professionnels avant d'obtenir une prise en charge.
Un défi technique majeur demeure : les systèmes d'information de l'Assurance Maladie ne permettent pas d'identifier une personne par sa situation de handicap.
Pour pallier ce manque, la CNAM utilise des indicateurs indirects, comme le statut d'Affection de Longue Durée (ALD) ou le bénéfice de la Complémentaire Santé Solidaire (C2S), considérant qu'une part importante de ces populations est également en situation de handicap.
Leviers d'Action de l'Assurance Maladie
Pour répondre à ces enjeux, la CNAM mobilise plusieurs leviers d'action structurés, notamment dans le cadre de la Charte Romain Jacob, signée et déployée sur l'ensemble du réseau.
Levier d'Action
Description
Engagements Conventionnels
Intégration systématique du handicap dans les négociations avec les professionnels de santé (médecins, dentistes, masseurs-kinésithérapeutes).
Mise en place de mesures spécifiques comme les "consultations blanches" (consultations préparatoires non soignantes pour familiariser le patient et le praticien) qui bénéficient d'une rémunération dédiée.
Offre de Soins Propre
La CNAM gère un réseau de plus de 200 établissements de soins non lucratifs (15 000 salariés) fortement orienté vers la prise en charge du handicap et engagé dans le "virage inclusif".
Accessibilité des Services
Travail systématique sur l'accessibilité physique, téléphonique et numérique des services de l'Assurance Maladie (site ameli.fr, compte Ameli, Mon Espace Santé).
Innovation Organisationnelle
Soutien aux expérimentations (via l'article 51) comme Handiconsulte, qui propose un modèle de rémunération au forfait pour des centres dédiés à la prise en charge somatique (gynécologie, dentaire, radiologie) des personnes handicapées. Un déploiement plus large est à l'étude.
Coordination (PCO)
Participation active au déploiement des Plateformes de Coordination et d'Orientation (PCO), notamment pour les troubles du neurodéveloppement (TND) et l'autisme, qui visent à organiser et solvabiliser une réponse rapide pour les enfants et leurs familles.
Axe 2 : La Santé Mentale, Priorité de Santé Publique et Enjeu Financier Majeur
Constat : Des Indicateurs Alarmants et un Coût Élevé
La santé mentale est un enjeu de santé publique majeur, comme en témoignent les chiffres clés partagés par la CNAM.
Indicateur
Donnée Clé
Dépenses Annuelles
Près de 28 milliards d'euros, ce qui en fait le premier poste de dépenses de l'Assurance Maladie.
Population Affectée
1 Français sur 5 est concerné par des difficultés de santé mentale.
Médication chez les Jeunes
+60 % d'augmentation des prescriptions d'antidépresseurs chez les jeunes entre 2019 et 2023.
ArrĂŞts de Travail
Un tiers des journées d'arrêt de travail sont liées à des troubles de santé mentale.
La tendance épidémiologique générale est jugée "pas bonne", soulignant l'urgence d'agir contre une dégradation continue de la santé mentale de la population, particulièrement depuis la crise du Covid.
Stratégie de l'Assurance Maladie : Prévention et Organisation des Soins
La réponse de la CNAM s'articule autour de deux axes principaux : la prévention et la structuration d'une offre de soins graduée pour éviter le recours systématique au médicament ou à l'hospitalisation.
1. Prévention et Détection Précoce :
• Soutien au programme "Premier Secours en Santé Mentale", notamment auprès des jeunes (universités, missions locales) et en cours de déploiement dans le monde de l'entreprise.
• Relai des campagnes de prévention sur les facteurs de risque, comme l'exposition aux écrans chez les jeunes enfants.
• Détection précoce des troubles du langage à l'école avec des programmes impliquant des orthophonistes pour organiser un "fast track" vers la prise en charge.
2. Organisation du Système de Soins :
• Équiper le médecin généraliste : Reconnu comme la porte d'entrée du système, la CNAM développe des outils et un accompagnement pour aider les généralistes, souvent démunis, à aller au-delà de la prescription de médicaments ou d'arrêts de travail.
• Favoriser la coopération : Soutien aux binômes médecin-infirmier (notamment via l'expérimentation "Sésame") et aux Infirmiers en Pratique Avancée (IPA).
• Structurer des équipes de soins spécialisées de psychiatres pour organiser une offre de téléconsultation coordonnée avec les médecins traitants.
• Éviter l'hospitalisation en renforçant la prise en charge en ville et en structurant des filières d'accès aux soins psychiatriques pour prévenir les hospitalisations non maîtrisées.
Le Dispositif "Mon Soutien Psy" : Bilan et Perspectives
Lancé après une expérimentation en 2018, le dispositif de remboursement des séances de psychologues est considéré comme un levier majeur et un succès par l'Assurance Maladie.
• Montée en charge rapide : Plus de 6 500 psychologues cliniciens (sur environ 20 000) ont rejoint le dispositif, couvrant l'ensemble des départements.
• Impact sur les patients : Plus de 900 000 assurés ont déjà bénéficié de séances remboursées.
• Appropriation par les médecins : Le dispositif a été très rapidement adopté par les médecins traitants, qui y ont vu une réponse concrète à un besoin non satisfait. Cette rapidité d'adoption est qualifiée d'"inédite".
• Évolutions : Les tarifs ont été augmentés et l'accès est désormais direct, sans obligation de passer par un médecin, bien que l'interface avec ce dernier reste encouragée.
Malgré les critiques de certains professionnels, la CNAM estime que le "pari de cette prise en charge est en train d'être réussi" et que le dispositif constitue un progrès majeur.
Thèmes Transversaux et Enjeux Stratégiques
La Prévention comme Investissement à Rendement Élevé
L'Assurance Maladie se dit "absolument convaincue" que l'investissement dans la prévention a un impact médico-économique positif massif.
Cet argument est au cœur de sa stratégie.
• Le principe des "coûts évités" est central : une action précoce permet d'éviter des prises en charge plus lourdes et plus coûteuses à long terme.
• Un chiffre illustre cette conviction : "vous investissez 1 € dans la prévention de maladie en terme de santé mentale, vous en récoltez quatre".
• Cette logique justifie le déploiement de programmes de détection précoce et l'objectif de ne pas aggraver les dépenses de santé malgré la tendance épidémiologique défavorable.
L'Enjeu du Remboursement des Professionnels Non Conventionnés
Un point de friction majeur est la prise en charge de professionnels comme les psychomotriciens ou les ergothérapeutes, dont l'apport est reconnu mais dont le remboursement n'est pas généralisé.
• Le frein réglementaire : Beaucoup de ces professions ne sont pas reconnues comme "professions de santé", ce qui empêche un conventionnement national classique.
• La solution : le conventionnement localisé par parcours : Le modèle développé dans les PCO pour les TND, où des professionnels sont financés dans le cadre d'un parcours spécifique, est vu comme une voie d'avenir.
Les futurs Parcours Coordonnés Renforcés (PCR) permettront de généraliser cette approche.
• Position de la CNAM : L'Assurance Maladie se déclare "prête" sur le plan opérationnel à intégrer et rembourser ces professionnels dès que le législateur ouvrira ces nouvelles possibilités de prise en charge, affirmant ne mettre "aucun frein sur cette dépense".
La Problématique des Pénuries de Médicaments : Au-delà des Difficultés d'Approvisionnement
La CNAM exprime une vive préoccupation concernant les pénuries de médicaments, en distinguant clairement deux phénomènes.
Si des difficultés d'approvisionnement existent, une partie des pénuries relèverait de stratégies commerciales délibérées.
• L'accusation : Certains laboratoires, après avoir atteint leur objectif de population cible dans le cadre de négociations sur les prix avec les autorités françaises, choisiraient de ne plus livrer le marché français.
• Une forme de chantage : Cette pratique est qualifiée de "chantage à la négociation de prix", où l'arrêt des livraisons est utilisé comme un levier pour obtenir des tarifs plus élevés. Les patients sont ainsi "pris en otage".
• La responsabilité des acteurs : La CNAM souligne que dans ces cas, la responsabilité incombe directement au laboratoire qui ne respecte pas sa part du contrat, et non aux autorités publiques qui négocient les prix pour préserver le système de santé.
Citations Clés
Sur l'ampleur de la santé mentale : "Nous sommes aujourd'hui à près de 28 milliards d'euros de dépenses qui sont consacrées à des pathologies en lien avec des thématiques de de santé mentale [...] ça montre quelque part aussi l'investissement d'assurance maladie."
Sur la hiérarchie des soins : "Le premier traitement d'un trouble psychique mineur, c'est la psychothérapie. [...] il n'y a pas d'indication médicamenteuse au départ. Donc les pratiques sont très très loin de ça." - Dr. Catherine Grenier
Sur l'adoption du dispositif "Mon Soutien Psy" : "Honnêtement, on a été [...] surpris [...] on a vu la vitesse à laquelle ce dispositif a été appréhendé par les médecins traitants. [...] Là en l'espèce, ça a été extrêmement rapide, inédit, et ça traduit ce besoin." - Thomas Fatôme, Directeur Général
Sur le rôle des industriels dans les pénuries : "Si un laboratoire dit 'bah en fait si vous payez pas le prix je vous livre pas', ça s'appelle aussi du chantage à la négociation de prix. [...] c'est un peu prendre les patients en otage d'une négociation de prix." - Marguerite Cazeneuve
Sur la logique de la Commission d'enquête : "Cette commission d'enquête, c'est presque une demande d'aide pour nous faire la démonstration qu'il y a une plus-value et que ça dépasse le seul horizon de l'annualité budgétaire." - Sébastien Saint-Pasteur, Rapporteur