Briefing Document : Accessibilité de la méthodologie de recherche pour les élèves ayant des troubles des fonctions cognitives
Source : Excerpts de la présentation "Session parallèle 5 : "Expérimenter les marges"..."
Présentatrice : J., Maîtresse de conférences à l'Université de Caen, membre du CNEF et co-directrice du Laboratoire International pour l'Inclusion Scolaire.
Thème principal : Réflexion sur la manière de rendre accessible la méthodologie de recherche, notamment à travers l'entretien biographique, pour permettre aux élèves ayant des troubles des fonctions cognitives (TFC) d'exprimer leur vision du monde et de se réapproprier leur parcours.
Introduction et Contexte :
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La présentation s'inscrit dans le prolongement du travail doctoral de J., soutenu en 2020, portant sur les dispositifs ULIS dans le second degré et l'accueil des élèves estampillés TFC. Cette catégorie est définie comme large et hétérogène, incluant des jeunes avec des troubles autistiques, des troubles multiples, une déficience intellectuelle, des troubles du comportement, et des situations où le diagnostic est moins clair. Le choix du second degré se justifie par la phase charnière entre la poursuite scolaire et l'insertion professionnelle. La préoccupation centrale est de donner la parole à ces jeunes pour qu'ils partagent leur propre perspective.
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J. s'appuie sur l'approche des récits biographiques, en écho aux travaux de Lorim Mon Berger, comme moyen de recueillir leur parcours de vie et de formation. Elle qualifie ce public comme un "public à la communication entre", soulignant la nécessité d'une approche spécifique pour faciliter leur expression.
Position et Posture de la Chercheuse :
- L'expérience professionnelle antérieure de J. en tant qu'enseignante spécialisée, notamment dans le premier dispositif lycée professionnel accompagnant les jeunes de 18 à 22 ans, puis comme formatrice pour les enseignants spécialisés, influence sa posture actuelle de chercheuse. Cette trajectoire lui a permis d'endosser différentes postures (enseignante, conseillère, accompagnatrice), ce qui se ressent dans sa manière d'aborder la recherche et la prise en compte de la parole des jeunes.
Préoccupations Centrales de la Recherche :
J. expose trois préoccupations imbriquées :
- Ne pas s'engager dans la "voix de la prise en charge de la parole du narrateur" : Il s'agit d'éviter un recueil de données superficiel où le jeune se contente de répéter ce qu'il pense devoir dire. L'objectif est d'aller au-delà et de permettre aux jeunes de retrouver une place dans le processus de recherche.
- "moi ce que j'aimerais bien c'est vraiment me questionner sur comment on leur permettre de de retrouver une place"
- Penser l'environnement de la rencontre et de l'entretien biographique : À l'image d'un enseignant qui aménage un environnement d'apprentissage, le chercheur doit concevoir un cadre propice à la relation et à l'échange dans le cadre de l'entretien biographique. Celui-ci vise à ce que le jeune mette en mots et en sens son parcours de vie pour envisager l'avenir.
- "l'enseignant doit penser l'environnement d'apprentissage moi en tant que chercheur en fait je dois penser l'environnement de la rencontre en fait et particulièrement vis-à-vis de l'entretien biographique"
- L'objectif n'est pas de vérifier la véracité des propos, mais de comprendre la perspective du jeune : "moi ce qui m'intéresse c'est voilà comment lui voit les choses comment il les interprète comment il les comprend et comment il me les rapporte c'est-à-dire qu'on est vraiment vraiment pas sur un jugement de valeur moi je prends les choses en fait telles qu'elles me sont tel qu'elles me sont"
- Conséquences de l'engagement du chercheur dans l'accessibilisation de la relation et de l'espace d'échange : Cela conduit à la nécessité de définir un "environnement capacitant" (ou affordant), qui soit non délétère, prenne en compte les différences interindividuelles (anthropométrie, sexe, âge, culture, compensation des déficiences), et permette le développement de nouvelles connaissances et savoirs.
- "quand je vais penser mes temps d'entretien il me faut que je puisse créer un environnement dit non délétaire pour l'individu avec cette idée que ça puisse le le préserver ses capacités d'action"
- Cela implique de gérer le lieu, le stress, le timing, et d'adapter l'approche aux besoins spécifiques des jeunes ayant des difficultés de mémorisation, d'expression verbale, ou de passage de l'abstrait au concret.
L'Importance de la Coconstruction :
- La démarche prône une coconstruction de la recherche, allant au-delà d'une simple consultation. Il s'agit d'un cheminement où le chercheur se place aux côtés du jeune, se laissant guider et questionner, reconnaissant l'apport unique de sa perspective.
Entraves à la Communication dans le Contexte de l'Entretien :
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J. identifie plusieurs types d'entraves spécifiques à la situation d'entretien avec ces jeunes :
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Aspects émotionnels : Stress, timidité, potentielle signification du vouvoiement initial comme marque d'importance.
- Obstacles situationnels : Nature particulière du face-à-face avec un chercheur perçu comme sachant, habitude d'être systématiquement accompagné par un tiers (éducatif, familial, scolaire) entraînant des difficultés à se projeter et à parler en "je", manque d'habitude d'être regardé directement.
- Aspects culturels et sociologiques : Manque de connaissance des droits et des processus de recherche impliquant les jeunes.
- Conséquences des troubles ou du handicap : Difficultés à formuler, mémoriser, raconter, pouvant se traduire par un langage limité à des mots-clés.
Questions Cruciales Concernant les Modalités d'Entretien :
- Distance et proximité dans la relation : Nécessité d'une flexibilité méthodologique, pouvant aller de l'entretien directif au semi-directif, voire biographique, en fonction de la relation et des contraintes.
- Distance et proximité du lieu de la rencontre : Importance du choix du lieu (établissement scolaire, domicile, etc.) en fonction du sentiment de sécurité et de confort du jeune.
- Distance et proximité par rapport à la compréhension de leur propre parcours de vie : Adaptation à la manière dont le jeune perçoit son parcours (principalement scolaire ou plus large).
- Distance et proximité des supports et outils : Adaptation de l'utilisation de supports (visuels, matériels, etc.) en fonction des besoins et des préférences du jeune.
- "il y a une dose de flexibilité qui est qui est importante en fait pour pouvoir euh avoir on va dire un un retour un récit qui soit au plus proche de la réalité de la réalité du jeunne"
Trois Exemples Illustratifs :
- Nathanaël ou comment se réapproprier son parcours de vie : Un jeune initialement décrit comme peu loquace s'engage pleinement dans l'entretien réalisé à son domicile (choix du lieu et de l'heure, tenue soignée). Il valide ensuite la transcription en occultant les passages qu'il ne souhaite pas voir utilisés. Cet entretien a eu un "effet collatéral" inattendu : Nathanaël a pris la parole pour la première fois lors de son équipe de suivi de scolarisation, s'appropriant son parcours à travers le document créé et exprimant son ras-le-bol d'entendre les autres parler pour lui.
- Fleur ou la première fois où elle va parler en "je" (majuscule) : Une jeune qui initialement déclare n'avoir rien à dire se révèle grâce à la mise à disposition de matériel (post-it, feutres). L'utilisation de ces supports déclenche le récit. À la fin de l'entretien, elle demande à ce qu'on utilise le prénom "Fleur" pour la désigner, marquant une distinction entre son image publique et sa véritable identité, révélant des choses jamais dites auparavant.
- John et son père ou comment faire face au récit de son parcours sentiè protecteur : John exprime son agacement face à l'attitude surprotectrice des adultes qui l'accompagnent ("J'en ai pas besoin, je vais bien, faut arrêter de me prendre pour un gosse"). Son récit révèle une conscience de son potentiel et un désir d'autonomie qui n'étaient pas forcément perçus par son entourage. Le père de John, lors d'un entretien séparé, exprime également un sentiment de ne pas avoir été entendu concernant le parcours de son fils, soulignant une libération de la parole favorisée par le contexte de la recherche.
Responsabilité du Chercheur (Conclusion et Points de Discussion) :
Ces exemples soulignent la responsabilité du chercheur face aux effets parfois inattendus de la recherche. Il s'agit de prendre en considération la singularité des participants et d'accessibiliser l'environnement d'échange pour que leur parole puisse s'exprimer. Cela implique :
Une méthodologie "en situation" qui s'ajuste à la qualité de l'échange. Une réflexion sur les "dommages collatéraux" ou "effets secondaires" de l'entretien (prise de parole nouvelle, remise en question du vécu, etc.).
La question de la limite de la responsabilité du chercheur face aux conséquences de la prise de parole des participants.
La présentatrice conclut en ouvrant la discussion et en sollicitant des pistes de réflexion et des questions sur ces enjeux importants de la recherche avec des publics dits vulnérables.
Elle souligne la nécessité d'une approche flexible et attentive, reconnaissant que son expérience professionnelle antérieure est un atout fondamental dans cette démarche.