Note d'Information : Évaluation de la Politique d'Éducation Prioritaire
Source: Extraits du rapport de la Cour des comptes, "L'éducation prioritaire, une politique publique à repenser" (2025-03).
Date: 6 Mai 2025
Objet: Analyse des principales thématiques et idées forces du rapport de la Cour des comptes sur l'éducation prioritaire en France.
Résumé Exécutif:
- Le rapport de la Cour des comptes évalue la politique d'éducation prioritaire en France, mettant en lumière ses évolutions, ses moyens, sa mise en œuvre et ses impacts.
Il souligne que, malgré des efforts significatifs et des moyens renforcés, notamment depuis la "refondation" de 2015, la politique a contribué à une certaine rigidification et peine à répondre efficacement à la diversité des besoins territoriaux et sociaux.
Le rapport identifie des lacunes dans l'identification des bénéficiaires, un processus d'allocation des moyens jugé trop binaire, et un pilotage local limité dans sa dimension stratégique.
Il met également en évidence un bilan nuancé de l'impact sur la réussite des élèves, malgré des résultats positifs à court terme.
La Cour des comptes préconise une refonte en profondeur de la logique d'action pour une allocation des moyens plus progressive et équitable, basée sur un indicateur socio-économique fiable et révisable plus fréquemment.
Principales Thématiques et Idées Forces:
Rigidification de la Politique d'Éducation Prioritaire et Évolutions Récentes:
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La politique a connu des évolutions significatives depuis dix ans, notamment une "refondation" en 2015. Cette refondation visait des objectifs étoffés et un effort ciblé sur l'éducation prioritaire renforcée (REP+).
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Le rapport constate que ces mesures nationales ont contribué à rigidifier la politique.
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Le dédoublement de classes mis en place depuis 2017 dans les classes de CP, CE1 et Grande Section de maternelle est un exemple de mesure plébiscitée mais dont les résultats et l'inflexion des pratiques pédagogiques restent limités.
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La logique de moyens a prévalu, notamment avec des indemnités spécifiques rehaussées en REP+ pour attirer et fidéliser le personnel, ainsi que des heures libérées pour la collaboration et la formation.
Cependant, l'utilisation de ce temps est diverse.
Moyens Renforcés et Pilotage National Limité:
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Des moyens significatifs sont consacrés à l'éducation prioritaire, mais leur coût total est sous-estimé car il n'intègre pas pleinement les coûts connexes pour le ministère de l'éducation nationale (comme les primes et indemnités spécifiques) et les coûts complémentaires supportés par les collectivités territoriales.
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"L’éducation prioritaire mobilise des outils spécifiques qui génèrent une augmentation significative des moyens humains mais aussi des coûts financiers qu’elle induit."
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Le pilotage national est jugé limité, avec un empilement de dispositifs additionnels, en partie créés pour combler les manques de l'éducation prioritaire existante, tels que les contrats locaux d'accompagnement (CLA), les territoires éducatifs ruraux (TER) et les cités éducatives.
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Les cités éducatives sont présentées comme un "modèle intéressant" de partenariat interministériel et avec les collectivités, associant représentants du préfet, du recteur et du maire pour l'élaboration de parcours éducatifs cohérents.
Le rapport note toutefois un risque de "multiplier les interventions disparates d’acteurs associatifs, obérant le temps des apprentissages sans renforcer ces derniers" si l'accent n'est pas mis sur la professionnalisation du réseau et des partenariats.
Mise en Œuvre Locale et Diversité des Besoins:
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La mise en œuvre locale peine à répondre à la diversité des besoins territoriaux et sociaux.
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Le pilotage académique est davantage structuré mais toujours limité dans sa dimension stratégique, se concentrant principalement sur la gestion des moyens humains.
"Au final, le pilotage territorial apparait largement guidé par une logique de mise en œuvre opérationnelle et de soutien aux équipes de terrain, qui s’est renforcée en dix ans. La dimension stratégique et prospective apparait moins présente."
- Des stratégies académiques d'affectation des enseignants plus qualitatives ont été mises en place, incluant des bonifications pour l'éducation prioritaire et le recours accru aux postes à profil.
Cependant, des difficultés d'attractivité persistent dans certaines zones, notamment en raison de la rémunération, de la valorisation professionnelle et du choix de l'académie.
- La logique d'action est jugée mal adaptée à la diversité des contextes territoriaux.
Lacunes dans l'Identification des Bénéficiaires et Allocation Binaire des Moyens:
- L'identification des bénéficiaires, basée sur un indice social unique construit à partir de données collectées au collège en 2014, présente des lacunes.
Cette modalité de labellisation a créé des situations d'écoles "orphelines" (non classées mais en difficulté) et "embarquées" (classées mais ne le nécessitant pas).
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"L’absence de base de données concernant les écoles ne permettant pas de construire un indice qui leur est propre, le choix a donc été fait de labelliser les écoles selon une logique de réseau, c’est-à-dire selon la labellisation du collège auquel elles sont rattachées."
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Le recueil des informations socio-économiques des familles n'est pas suffisamment robuste.
L'indice de position sociale (IPS), bien que plus récent, présente également des lacunes dans son calcul pour les écoles.
- La logique d'allocation des moyens est perçue comme binaire, conditionnée par la labellisation, et génère des effets de seuil importants.
Cela ne permet pas une allocation progressive des moyens qui prendrait en compte la diversité des situations. Impacts Limités sur la Réussite des Élèves et Nécessité d'une Refonte:
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Le bilan de l'impact des mesures sur la réussite des élèves est nuancé. Bien que des effets positifs à court terme soient constatés (par exemple, sur la maîtrise des savoirs fondamentaux), les effets à long terme semblent moins probants.
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Le climat scolaire présente un impact mitigé, avec une augmentation des "faits établissements" dans certaines académies.
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Des écarts persistent dans les parcours d'orientation, avec une moindre orientation vers la voie générale et technologique pour les élèves des territoires ruraux ou des milieux défavorisés.
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Les résultats au Diplôme National du Brevet (DNB) montrent un écart significatif entre les élèves scolarisés en éducation prioritaire (REP et REP+) et ceux hors éducation prioritaire, ainsi qu'entre les élèves d'origine sociale défavorisée et très favorisée.
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L'indice de valeur ajoutée des collèges (IVAC) suggère que les collèges REP+ sont plus "performants" que les autres établissements du secteur public une fois le biais social neutralisé, mais ils restent en retrait par rapport aux collèges privés sous contrat.
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Le rapport conclut à la nécessité d'une refonte en profondeur de la logique d'action de l'éducation prioritaire. Cette refonte devrait viser l'équité et une meilleure prise en compte des situations territoriales et sociales.
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Une proposition clé est la mise en place d'un système d'allocation des moyens plus progressif, basé sur des tranches ou catégories d'établissements, prenant en compte l'IPS et potentiellement d'autres critères.
Ce système devrait être plus flexible et révisé fréquemment.
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"Une refonte en profondeur de la logique d’action s’impose, au service de l’équité et d’une meilleure prise en compte des situations territoriales et sociales."
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Cette refonte nécessiterait également l'alignement des modalités de gestion des ressources humaines sur le nouveau système d'allocation progressive.
Citations Clés:
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"Depuis dix ans, la logique de moyens a prévalu au détriment des autres mesures en faveur de la réussite des élèves."
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"Les REP+ ont bénéficié depuis 2015 de mesures ciblées bien plus favorables qu’en REP, telles que les indemnités spécifiques rehaussées en plusieurs étapes, dans le but d’attirer et de fidéliser le personnel, ou les heures libérées pour favoriser la collaboration et la formation des équipes."
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"Les coûts complémentaires de l’action éducative de la politique de la ville, mais aussi des collectivités territoriales... ne sont pas aujourd’hui comptabilisés, ce qui revient à minorer le coût de cette politique et sa hausse depuis dix ans."
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"Au final, le pilotage territorial apparait largement guidé par une logique de mise en œuvre opérationnelle et de soutien aux équipes de terrain, qui s’est renforcée en dix ans. La dimension stratégique et prospective apparait moins présente."
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"L’identification des bénéficiaires a reposé en 2014 sur l’application d’un indice social unique construit à partir des données récoltées au collège. Cette modalité de labellisation présente des lacunes..."
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"La logique d’allocation des moyens propre à l’éducation prioritaire, conditionnée au fait d’être labellisé, apparait comme binaire et ne permet d’offrir une réelle progressivité dans les ressources apportées aux écoles et établissements."
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"Une refonte en profondeur de la logique d’action s’impose, au service de l’équité et d’une meilleure prise en compte des situations territoriales et sociales."
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"Ce système renouvelé pourrait reposer sur un principe de répartition des établissements, par tranches ou catégories, prenant en compte de manière graduelle la situation socio-économique des familles, ainsi que d’éventuels autres critères..."
Conclusion:
Le rapport de la Cour des comptes dresse un tableau critique de la politique d'éducation prioritaire actuelle, soulignant ses rigidités et ses limites dans un paysage territorial et social en constante évolution.
Il appelle à une réforme ambitieuse pour passer d'une logique de labellisation binaire à un système plus flexible et progressif d'allocation des moyens, mieux adapté à la diversité des besoins et visant une équité renforcée dans le système éducatif français.