Synthèse des Auditions de la Cour des Comptes : Enseignement Primaire et CVEC
Résumé
L'audition de la Cour des comptes à l'Assemblée nationale a mis en lumière des diagnostics critiques concernant deux piliers du système éducatif français : * l'enseignement primaire et * la Contribution de Vie Étudiante et de Campus (CVEC).
Concernant l'enseignement primaire, le rapport dresse un "constat d'échec" de la politique publique.
Malgré une dépense croissante (55 milliards d'euros en 2023, soit 2% du PIB), le niveau des élèves français est alarmant, se classant dernier de l'Union européenne en mathématiques en CM1.
Le système aggrave les inégalités sociales et territoriales, avec une organisation du temps scolaire jugée "en décalage avec les besoins de l'enfant", notamment la semaine de 4 jours.
La Cour préconise une refonte du modèle scolaire, incluant la systématisation des regroupements d'écoles, la réforme du statut des directeurs pour leur accorder plus d'autonomie, l'amélioration de l'attractivité du métier d'enseignant et une meilleure association des collectivités territoriales via des conventions triennales.
Pour la CVEC, le bilan est contrasté. Depuis 2018, près de 900 millions d'euros ont été collectés, finançant des actions bénéfiques pour la vie étudiante (santé, culture, social).
Cependant, le dispositif souffre d'un manque de transparence, d'une gestion complexe et d'une sous-utilisation notable des fonds, avec un reliquat de 100 millions d'euros. Le nombre d'étudiants assujettis n'est même pas connu précisément par le ministère.
La Cour recommande de résorber les crédits inutilisés, de renforcer l'information et l'association des étudiants, de clarifier les règles de calcul de la contribution et d'assurer un suivi rigoureux de son utilisation, notamment par un rapport annuel au Parlement.
I. Rapport sur l'Enseignement Primaire : Un Modèle à Réinventer
Le rapport de la Cour des comptes sur les 6,3 millions d'élèves des 48 000 écoles françaises est le fruit d'une analyse nationale et territoriale approfondie.
Il s'articule autour de quatre constats majeurs qui appellent à une refonte structurelle du système.
1. Constat d'Échec : Baisse de Niveau et Aggravation des Inégalités
La Cour qualifie sans équivoque la politique publique d'enseignement primaire d'« échec ». Les indicateurs de performance sont particulièrement préoccupants :
• Niveau Scolaire en Chute Libre : Malgré une dépense par élève en hausse, le niveau suit une tendance inverse.
◦ Mathématiques (CM1) : La France se classe dernière des 21 pays de l'Union européenne participant à l'enquête. ◦ Français :
Après une baisse continue depuis 2001, le niveau stagne, plaçant la France à l'antépénultième place des 18 pays de l'UE évalués.
• Explosion des Inégalités : L'école primaire non seulement reproduit mais "creuse les inégalités".
◦ Déterminisme Social : Une corrélation "très nette" existe entre les difficultés scolaires et l'origine sociale des parents.
Les enfants de cadres améliorent leurs résultats, tandis que ceux des ouvriers voient les leurs diminuer. ◦ Disparités Territoriales :
Des inégalités aigües sont observées, notamment dans les académies ultramarines où, malgré un coût par écolier supérieur de 30%, le niveau des élèves est particulièrement bas.
2. Organisation Inadaptée et Crise d'Attractivité du Métier
L'organisation même de l'école est pointée du doigt comme étant déconnectée des besoins fondamentaux des élèves.
• Rythmes Scolaires : S'appuyant sur l'avis de l'Académie nationale de médecine, la Cour souligne que "l'organisation du temps scolaire n'apparaît pas prioritairement conçu en fonction des élèves".
Le rapport met en évidence le "rôle néfaste de la semaine dite de 4 jours", une spécificité française au sein des pays de l'OCDE où le modèle dominant est la semaine de 5 jours.
• Crise du Recrutement des Enseignants : Le manque d'attractivité du métier est devenu structurel.
◦ Postes non pourvus : En 2024, 1 350 postes de professeurs des écoles n'ont pas été pourvus sur 10 270 offerts (près de 13%).
Dans certaines académies comme Créteil et Versailles, il y a moins d'un candidat par poste.
◦ Facteurs Multiples : Faible reconnaissance sociale, rémunération peu attractive en début de carrière, conditions de travail dégradées et carrières peu évolutives.
3. Le Paradoxe d'une Dépense Croissante pour des Résultats Décevants
Alors que les effectifs sont en forte baisse (prévision de 350 000 élèves en moins entre 2023 et 2028), la dépense publique pour l'école primaire ne cesse d'augmenter.
Indicateur
Données Clés
Dépense Totale (2023)
55 milliards d'euros (2% du PIB)
Part de la Dépense Nationale d'Éducation
29 %
Croissance (2013-2022)
+12 % (+6 milliards d'euros hors inflation)
Répartition du Financement (hors pensions)
État : ~20 milliards d'euros (2022)
Collectivités territoriales : 19 milliards d'euros (2022)
Cette augmentation continue, couplée à la dégradation des résultats, impose selon la Cour de s'interroger sur "l'efficience de la politique éducative".
4. Recommandations pour une Refondation
Face à ce diagnostic, la Cour formule plusieurs recommandations structurelles pour "repenser le modèle actuel de l'école" :
• Gouvernance :
◦ Statut du Directeur d'École : Engager une réforme pour généraliser progressivement la fonction de directeur à temps complet, en commençant par les écoles regroupées, afin de leur donner les leviers pour piloter le projet pédagogique. ◦ Regroupement d'Écoles : Systématiser les regroupements pédagogiques dans les territoires en déclin démographique (18% des écoles comptent déjà une ou deux classes). ◦ Partenariat avec les Collectivités : Établir des conventions triennales entre les services de l'Éducation nationale et les collectivités pour objectiver la politique éducative locale (carte scolaire, bâti, périscolaire).
• Attractivité et Formation des Enseignants :
-
◦ Recrutement : Diversifier les viviers en ouvrant plus de postes au 3ème concours et permettre des recrutements sur contrats de moyen terme dans les académies en tension.
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◦ Formation Continue : Assurer le remplacement systématique des enseignants en formation, favoriser les formations en équipe de proximité et mieux utiliser les crédits budgétaires alloués (60% non consommés en 2022).
• Pédagogie et Bien-être :
- ◦ Centrer sur l'Élève : Faire du bien-être une priorité, en améliorant la cohérence entre les temps scolaire, périscolaire et extrascolaire.
- ◦ Numérique : Mieux intégrer le numérique comme outil pédagogique, en renforçant la formation des enseignants.
- ◦ Transition Écologique : Adapter le bâti scolaire, dont 52% présente des risques climatiques de grande ampleur (canicules, inondations).
II. Rapport sur la Contribution de Vie Étudiante et de Campus (CVEC) : Entre Utilité et Opacité
Issu d'une saisine citoyenne, le rapport sur la CVEC analyse l'utilisation d'une contribution qui a généré près de 900 millions d'euros depuis sa création en 2018.
1. Un Dispositif Utile mais Perfectible
La CVEC a permis de financer des actions diversifiées qui ont contribué à améliorer la vie étudiante : services d'écoute psychologique, épiceries solidaires, ateliers sportifs et culturels, aide à l'équipement numérique. Paradoxalement, sa création s'est accompagnée d'un gain de pouvoir d'achat pour la majorité des étudiants, car elle a remplacé la cotisation à la sécurité sociale étudiante, bien plus élevée (217 € en 2017-2018).
2. Principaux Enseignements et Dysfonctionnements
L'enquête de la Cour met en évidence six points critiques :
1. Sous-utilisation des Fonds : Environ 100 millions d'euros sur les 900 millions collectés entre 2018 et 2024 n'avaient pas été dépensés à la date de l'enquête.
2. Gestion Complexe : Le dispositif est jugé complexe, avec une redistribution par péréquation.
De plus, une sous-évaluation des plafonds a conduit à des reversements de 14 millions d'euros au budget général de l'État.
3. Augmentation du Montant : Le montant est passé de 90 € en 2018 à 105 € pour la rentrée 2024, soit une hausse de plus de 16%, sans que les modalités de calcul soient clairement définies pour en maîtriser la progression.
4. Recouvrement Imprécis : Ni le ministère, ni le réseau des œuvres universitaires ne connaissent le nombre précis d'étudiants assujettis, empêchant de vérifier que tous ceux qui le doivent paient la contribution.
5. Manque de Cadrage : Il n'existe pas de définition claire de la "vie étudiante", ce qui nuit à la cohérence des dépenses.
Les seuils d'affectation (30% pour les projets étudiants et le social, 15% pour la médecine préventive) ne sont pas uniformément appliqués.
6. Manque de Transparence : Les étudiants ont une connaissance "extrêmement limitée" de l'utilisation de la CVEC.
L'information du Parlement est également jugée insuffisante.
3. Recommandations de la Cour des Comptes
Pour remédier à ces faiblesses, la Cour émet cinq recommandations principales :
1. Résorber les reliquats de crédits inutilisés d'ici 2026.
2. Préciser la méthode d'indexation de la CVEC sur l'inflation, en prévoyant un mécanisme de plafonnement de la hausse.
3. Mettre en place des outils pour s'assurer du complet recouvrement de la taxe.
4. Accroître le financement des projets pour les étudiants inscrits dans des établissements non bénéficiaires.
5. Renforcer l'information des étudiants et transmettre au Parlement un rapport annuel détaillé sur l'utilisation de la CVEC.
La Cour souligne enfin que la CVEC "ne pouvait à elle seule répondre à tous les besoins des étudiants", qui relèvent de politiques publiques de plus grande ampleur (logement, santé, précarité).
III. Perspectives et Débats Parlementaires
Les interventions des députés ont reflété une large adhésion aux constats de la Cour, tout en soulignant des points de divergence sur les solutions et des préoccupations politiques spécifiques.
• Sur l'enseignement primaire, un consensus s'est dégagé sur la gravité de la situation.
Les députés ont interrogé la Cour sur les leviers prioritaires à actionner, le bien-fondé du retour à la semaine de 4,5 jours, la nécessité de se concentrer sur les savoirs fondamentaux, et le besoin d'une plus grande autonomie pour les établissements.
• Sur la CVEC, les critiques ont été vives concernant le manque de transparence, les fonds non utilisés et l'augmentation de son montant.
Plusieurs groupes (Écologiste, LFI-NFP, GDR) ont qualifié la CVEC de "taxe injuste" et appelé à sa suppression au profit d'un financement direct par l'État.
Le groupe RN a également dénoncé le financement présumé "d'événements à caractère politique et communautaire".
En réponse, la Cour a insisté sur quatre pistes pour améliorer la transparence de la CVEC : une meilleure association des étudiants aux commissions de décision (en visant un quota de 50%), une communication plus large sur les projets financés (via des portails en ligne, des "ambassadeurs CVEC"), une harmonisation des bilans financiers des établissements, et une clarification des dispositifs pour éviter les doublons.