Synthèse du Soutien de l'État à la Vie Associative : Du National au Local
Résumé
Cette note de synthèse analyse les formes et les logiques du soutien de l'État à la vie associative en France, en se basant sur une recherche menée par Mathilde Rtinassi et Emmanuel Porte.
L'étude révèle une action publique éclatée et peu coordonnée, dépourvue d'une politique unifiée.
Le soutien financier, bien que stable en volume global de subventions (environ 8,5 milliards d'euros), est perçu comme étant en baisse en raison de sa répartition sur un nombre croissant d'associations, ce qui diminue le montant moyen par structure.
La recherche identifie quatre grands objectifs poursuivis par l'État : la consolidation des structures, l'articulation du secteur, l'observation du monde associatif, et la reconnaissance de sa légitimité. Ces objectifs sont inégalement poursuivis selon les ministères, menant à une typologie de quatre formes de soutien distinctes :
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1. Soutien partiel et institué : Une relation de compagnonnage de longue date, mais ne couvrant qu'une partie des objectifs.
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2. Soutien multiforme : Le modèle le plus complet, couvrant les quatre objectifs, porté par des acteurs comme la CNAF ou la DJEPVA.
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3. Soutien par la reconnaissance : Limité aux procédures réglementaires (agréments, labels), avec une relation distante.
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4. Soutien par relation intéressée : Le modèle le plus répandu, où l'association est principalement un instrument pour le déploiement des politiques publiques, souvent via des appels d'offres.
Un constat majeur est la corrélation directe entre la qualité du dialogue entre les acteurs publics et les associations et la richesse des formes de soutien.
Enfin, la production de connaissance sur le secteur associatif reste le "parent pauvre" de l'action publique nationale, et les "têtes de réseau" jouent un rôle opérationnel indispensable que l'État ne peut assumer seul.
1. Contexte et Méthodologie de la Recherche
La recherche intitulée "Les soutiens national à la vie associative : enquête exploratoire sur une action publique éclatée" a été initiée mi-2019 pour répondre à deux constats principaux :
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• L'illisibilité du soutien à la vie associative : Des rapports antérieurs (Inspection Générale, 2009 et 2016) soulignaient la complexité et la confusion des dispositifs, labels et acronymes (CRIB, PAVA, PIVA), rendant l'écosystème difficile à naviguer pour les associations. Une citation d'un rapport illustre ce point : "il existe des crib (...) qui sont des Pavas (...), des cribes non Pava, des Pavas non crib..."
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• Une connaissance parcellaire des soutiens ministériels : Au-delà du rôle historique du ministère de la Jeunesse, la manière dont les autres ministères soutiennent le secteur associatif restait mal connue, alors que chacun interagit avec lui (ex: fiscalité pour le ministère de l'Économie, gestion du greffe pour l'Intérieur). Méthodologie
L'étude repose sur une approche purement qualitative :
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• 42 entretiens semi-directifs ont été réalisés avec :
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◦ Des agents de 15 ministères et organismes d'État.
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◦ 19 têtes de réseau associatives.
- ◦ 4 acteurs de l'accompagnement privé.
- ◦ 3 personnalités qualifiées.
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◦ 1 responsable politique.
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• Une analyse documentaire approfondie (doctrines de financement, appels à projets, rapports d'activité) a été menée pour aller au-delà du discours officiel.
Le terrain de recherche a été complexe, marqué par des difficultés d'accès aux ministères et une interruption de 14 mois due à la crise du Covid-19.
2. Analyse du Soutien Financier : Nuances et Réalités
Contrairement à l'idée reçue d'une baisse généralisée des financements, l'analyse des données (notamment le "Jaune" budgétaire associatif) apporte des nuances importantes :
• Stabilité des subventions : Le montant global des subventions versées par l'État aux associations est relativement stable, s'élevant à environ 8,5 milliards d'euros.
• Augmentation du volume global des moyens : Le volume financier total attribué aux associations augmente, mais une part croissante de ces moyens n'est pas versée sous forme de subventions (ex: marchés publics).
• Étalement sur le tissu associatif : L'État finance un nombre croissant d'associations.
Par conséquent, même avec un budget global stable, le montant moyen et médian par association est en baisse.
Ce phénomène d'étalement est le principal facteur expliquant la perception d'une diminution des financements et de la part des subventions.
3. Les Quatre Grands Objectifs du Soutien de l'État
L'analyse des entretiens et des documents a permis d'identifier quatre objectifs principaux que l'État poursuit, de manière plus ou moins explicite, à travers son soutien au monde associatif.
Objectif Description Exemples d'Actions Consolidation
Vise à pérenniser la structure associative en la rendant robuste sur le long terme pour qu'elle puisse répondre aux besoins sociaux et aux politiques publiques. * - Soutien financier (subventions, etc.)<br>- Accompagnement à la professionnalisation<br>- Renforcement du modèle socio-économique et de la gouvernance<br>- Accueil, information et orientation<br>-
Formation des membres et salariés
Articulation / Maillage Concerne la circulation de l'information, le partage de bonnes pratiques et la facilitation des coopérations entre associations, et avec d'autres acteurs (publics, privés). * - Mise en réseau des acteurs<br> * - Organisation d'échanges de pratiques entre pairs<br> * - Facilitation de l'essaimage d'expérimentations
Observation / Objectivation
Recouvre la production de connaissances sur le secteur associatif pour éclairer l'action publique. Cet objectif est souvent le moins prioritaire.
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- Financement d'études et de recherches (réalisées par des cabinets, des chercheurs, des têtes de réseau)<br>
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- Création d'espaces de réflexion collective (ex: le COJ pour la jeunesse)
Reconnaissance / Légitimation Englobe toutes les procédures de reconnaissance officielle des structures, de leurs projets ou de leurs activités, leur conférant une légitimité à agir au nom de l'intérêt général.
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- Délivrance d'agréments<br>
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- Reconnaissance d'utilité publique (RUP)<br>
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- Attribution de labels et de prix
Ces objectifs sont souvent interconnectés. Par exemple, la reconnaissance (via un agrément) facilite l'accès aux financements, contribuant ainsi à la consolidation de l'association.
4. Typologie des Formes de Soutien National
En croisant les objectifs poursuivis, la nature du dialogue et le type de relation entre l'État et les associations, la recherche a établi une typologie de quatre modèles de soutien. Type de Soutien Description et Relation Objectifs Couverts
Exemples et Caractéristiques
- Soutien partiel et institué Relation de "compagnonnage" : Historique, structurante et de longue durée.
La politique publique est fortement adossée aux têtes de réseau, qui deviennent des partenaires incontournables.
Consolidation (financière) et Articulation/Maillage.
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Ministère de la Culture (pratiques amateurs) : Les fédérations sont des "coquilles vides" potentielles sans le soutien de l'État, et l'État ne peut agir sans elles.<br>
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Délégation à la Sécurité Routière avec l'association Prévention Routière.<br>
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Tendance à créer un "monopole" d'interlocuteurs.
2. Soutien multiforme
Le "champion" du soutien : Le modèle le plus complet et diversifié.
La relation est basée sur la co-construction et un dialogue riche.
Il existe une culture "militante" en faveur du monde associatif au sein de ces administrations.
Les 4 objectifs sont couverts, y compris l'Observation.
- CNAF, DJEPVA, ANCT (ex-CGET).<br>
- Utilise une palette d'outils : subventions, CPO, appels à projets (rarement des appels d'offres).<br>
- Production d'outils, de kits, de formations.<br>
- Agence Française de Développement (AFD) avec le dispositif "Initiative OSC" qui reconnaît le droit à l'initiative des associations.
3. Soutien par la reconnaissance
Relation procédurale et distante : Le soutien est quasi-exclusivement articulé autour d'une procédure réglementaire (agrément, label).
Principalement la Reconnaissance/Légitimation.
- Direction Générale de la Santé pour l'agrément des associations représentant les usagers du système de santé.<br>
- L'administration connaît mal le secteur et a peu de dialogue avec lui.<br>
- L'objectif est de s'assurer que les associations remplissent les conditions réglementaires, pas de les accompagner dans leur développement.
4. Soutien par relation intéressée
Relation instrumentale : Le soutien est secondaire par rapport à l'objectif principal du ministère, qui est le déploiement de sa politique publique. Les associations sont vues comme des prestataires.
Principalement la Consolidation (uniquement pour qu'elles puissent "tenir" et mettre en œuvre la politique).
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- Le modèle le plus fréquent (près de la moitié des directions rencontrées).<br>
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- Recours massif aux marchés publics (appels d'offres) et appels à projets.<br>
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- Mise en concurrence des associations avec des entreprises lucratives ou des établissements scolaires (ex: Ministère de la Défense).<br>
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- Les dispositifs généraux d'accompagnement (DLA, FDVA) sont méconnus et peu mobilisés par ces directions.
5. Le Rôle Crucial des Têtes de Réseau
La recherche souligne que le soutien de l'État ne pourrait exister sans le rôle opérationnel des têtes de réseau, qui agissent comme le bras armé d'un "État stratège" mais souvent démuni de capacités d'action directe.
Leurs contributions principales sont :
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• Représentation et Plaidoyer : Faire remonter les besoins des territoires et défendre les intérêts du secteur.
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• Identification des problématiques : Aider à l'émergence de nouvelles questions sociales ou d'innovations.
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• Mutualisation d'expertise : Produire de la connaissance utile pour leurs membres et non-membres.
Les têtes de réseau sont traversées par un débat sur leur approche territoriale :
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• Logique d'équité : Viser un soutien équitable pour toutes les structures membres, souvent via une centralité budgétaire.
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• Logique d'adaptation : Soutenir les structures de manière "ad hoc" en fonction des spécificités territoriales, ce qui implique une gouvernance moins pyramidale mais pose des défis de connaissance des contextes locaux et de risque de concurrence interne.
6. Perspectives Locales et Divergences
L'intervention de Luciana complète la perspective nationale en soulignant l'importance du contexte territorial, souvent absent des discours ministériels (à l'exception de l'ANCT et de la DJEPVA).
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• Le territoire comme construction sociale : Au-delà de l'espace administratif, le territoire est façonné par les relations entre les acteurs. Les politiques nationales sont appropriées différemment selon les spécificités locales.
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• Lisibilité des politiques publiques locales : La multiplication des dispositifs et le traitement en silo par secteur d'activité créent un manque de transversalité.
La présence d'un élu référent, d'un service dédié ou d'un observatoire local de la vie associative (OLVA) peut renforcer le dialogue et la cohérence de l'action publique locale.
- • Rôle des réseaux locaux : Comme au niveau national, les réseaux locaux sont perçus par leurs membres comme des représentants de leurs intérêts, influençant l'appropriation des politiques publiques sur le territoire.
7. Conclusions et Points Soulevés en Discussion
Constats Clés
1. Absence d'une politique unifiée : Il n'existe pas de politique de soutien à la vie associative intégrée au niveau de l'État. La coordination est faible, y compris au sein d'un même ministère.
2. La qualité du dialogue est déterminante : Plus le dialogue est riche et orienté vers la co-construction, plus le soutien est diversifié et complet.
3. L'Observation, parent pauvre de l'action publique :
La production de connaissance sur le secteur associatif est souvent considérée comme secondaire ou un "impensé" au niveau national, alors qu'elle est un levier puissant au niveau local.
Discussion avec les Participants
• Financements et clientélisme : Les participants ont évoqué un ressenti de clientélisme.
La recherche met plutôt en évidence un "effet de monopole", où les ministères préfèrent dialoguer avec un interlocuteur unique ou principal.
• La charge administrative : Il a été souligné que les associations passent un temps considérable à remplir des dossiers pour des dispositifs multiples et chronophages, au détriment de l'action de terrain.
Cela renvoie à la nécessité de simplifier les procédures et de privilégier des financements pluriannuels (CPO) plutôt que des appels à projets annuels.