Document d'information : Gouverner autrement : radicalité ou compromis ?
Ce briefing examine les thèmes principaux et les idées clés abordées lors de la 34ème journée du Livre politique, centrée sur la question de savoir comment gouverner autrement, en explorant la tension entre la radicalité et le compromis.
La discussion, impliquant notamment Roseline Bachelot, Astrid Panosian Bouvet, et Dominique Rier, met en lumière les défis de l'exercice du pouvoir dans le contexte d'une crise démocratique et d'une configuration politique fragmentée.
Thèmes principaux :
- La tension entre radicalité et compromis : La question centrale est de savoir si ces deux approches, apparemment contradictoires, peuvent être compatibles dans la gouvernance.
- La crise démocratique et la défiance citoyenne : Un consensus émerge sur la période de crise démocratique actuelle, marquée par une forte défiance envers les institutions et des oppositions semblant irréconciliables, menant à un risque d'immobilisme politique.
- La culture française du compromis : Une interrogation subsiste quant à l'existence et à la force d'une culture du compromis en France, souvent comparée à celle des pays d'Europe du Nord.
- Le rôle des institutions et de la Constitution : L'impact de la Constitution de la 5ème République sur la capacité à délibérer et à trouver des compromis est discuté.
- La polarisation politique et la violence : Les intervenants soulignent la polarisation croissante de la vie politique, le risque de violence physique et la nécessité de préserver un cadre de désaccord civilisé.
- Les outils et pratiques pour favoriser le compromis : Des propositions sont faites pour adapter les institutions et les pratiques politiques afin de mieux intégrer le compromis.
Idées et faits importants :
- La polysémie des termes "radicalité" et "compromis" : Roseline Bachelot souligne l'ambivalence de ces termes.
La radicalité peut signifier l'intransigeance et l'atteinte aux racines (sens marxiste), mais aussi l'outrance et le refus d'écouter.
Le compromis peut être vu comme un abandon de convictions, mais aussi comme une culture de l'intérêt général. Bachelot se déclare "radicalement pour le compromis".
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Citation : "moi ce qui me frappe quand on oppose radicalité et compromis c'est l'ambivalence de ces deux termes et leur polycémie"
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Citation : "je suis radicalement pour le compromis"
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La radicalité comme vertu de clarté : Astrid Panosian Bouvet reconnaît que la radicalité a la vertu de la clarté et permet d'être ferme sur ses bases, sans pour autant exclure l'écoute et la recherche d'un chemin commun.
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Citation : "je pense que la radicalité ça a aussi la vertu de la clarté"
Le dialogue social comme modèle de compromis :
Panosian Bouvet, en tant que Ministre du Travail, exprime un profond respect pour le dialogue social, où des personnes ancrées dans la réalité du monde du travail recherchent des solutions communes.
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La Constitution de la 5ème République et les contre-pouvoirs : Contrairement à une vision simplifiée, la Constitution est décrite comme riche en éléments de contre-pouvoir, qui se manifestent moins en période de majorité absolue. La configuration politique post-2022 et surtout post-2024 révèle ces mécanismes.
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Citation : "elle est en réalité bourré d'éléments de contrepouvoir qui ne se manifeste pas dans les périodes de la majorité absolue pourquoi ? parce que on ne peut pas en vouloir à des organes qui ont tous la même couleur politique de penser la même chose"
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La délibération comme alternative au compromis mou : Le terme de délibération est mis en avant comme plus pertinent que celui de compromis dans la culture constitutionnelle française.
La délibération permet d'explorer toutes les sensibilités avant de prendre une décision. Radicalité et compromis sont vus comme les deux phases d'une même pièce (délibérer et décider).
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Citation : "la constitution et les textes ne connaissent pas le mot compromis mais le mot de délibération et moi je crois que c'est celui-ci qu'on devrait vraiment mettre en valeur"
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Citation : "la radicalité et le compromis sont en réalité les deux phases d'une même pièce c'est-à-dire qu'au moment où on prend une décision on délibère pour en comprendre les enjeux et on tranche parce qu'on décide"
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La distinction entre radicalité des mots et radicalité des actes : Dominique Rier met en garde contre la confusion entre une radicalité dans les termes et une impuissance dans l'action, tout en reconnaissant l'existence d'actes radicaux dangereux.
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L'intelligence d'aller au bout d'une idée radicale avant de revenir au réel : Rier suggère qu'il faut être capable de penser une idée dans sa dimension radicale, comme l'égalité absolue, pour qu'elle serve d'horizon, puis de "déradicaliser" la manière de la décrire pour la confronter à la réalité et permettre l'action. Les progrès historiques, comme l'égalité homme-femme, montrent que des idées initialement considérées comme radicales peuvent devenir réalité.
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Citation : "l'intelligence qui nous est demandé c'est de savoir aller dans la radicalité jusqu'au bout d'une idée"
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Citation : "l'idée de l'égalité entre nous tous est une forme de radicalité dont nous devons nous inspirer comme un horizon"
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La nécessité de fabriquer l'adhésion citoyenne : Le compromis implique que les citoyens se retrouvent dans la solution proposée pour qu'il y ait adhésion.
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Être d'accord sur la forme et l'intensité du désaccord : Dans le contexte de la polarisation, il est crucial d'accepter la défaite temporaire et de limiter l'intensité du désaccord pour éviter la violence physique.
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Citation : "il faut être d'accord sur au moins deux choses la forme du désaccord et l'intensité du désaccord"
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Citation : "il nous faut absolument fortlore la violence la violence physique nous menace nous ne sommes pas loin de la confrontation"
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Le compromis comme acte de courage : Roseline Bachelot cite Paul Ricoeur pour souligner que le compromis ne vise pas à résoudre un conflit mais à le rendre "soutenable".
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La fin des majorités "godillots" et la tripartition politique : Le retour à un fait majoritaire fort est jugé incertain et pas nécessairement souhaitable. La tripartition actuelle de l'Assemblée Nationale pose des défis de communication entre opinions.
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Moins de lois et plus de consensus : La période actuelle avec moins de législation pourrait prouver qu'il est possible de revenir à "moins de choses plus consensuelles" avec le schéma institutionnel existant.
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La polarisation liée au manque de tolérance mutuelle : La vie politique américaine est citée comme exemple d'une polarisation due au fait que les partis se voient comme des ennemis plutôt que des rivaux légitimes.
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La "retenue institutionnelle" comme frein à la polarisation : L'idée que majorité et opposition sachent utiliser les moyens légaux avec modération (le débat plutôt que l'obstruction, etc.) est cruciale. L'usage excessif du parlementarisme rationalisé (comme le 49.3) peut nuire à la légitimité des décisions.
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Outils institutionnels pour la culture du compromis : Roseline Bachelot propose la motion de censure constructive (sur le modèle allemand ou espagnol) et la question de confiance obligatoire pour formaliser les coalitions de gouvernement.
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Changements de pratiques nécessaires : Le dialogue social doit se situer en amont de la décision politique. L'expertise doit être professionnalisée et sécurisée, libre de l'influence de convictions préconçues. La stabilité ministérielle est également souhaitable.
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La Constitution offre des "boulevards" pour l'action politique : De nombreux changements de pratiques parlementaires (gestion du temps, amendements, culture de l'opposition, recours aux référendums) sont possibles sans modifier le texte constitutionnel.
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Le compromis n'inclut pas ceux qui remettent en cause l'état de droit : Le compromis a des limites, et il n'est pas possible de transiger sur les questions fondamentales comme l'état de droit. Cependant, il faut éviter de rejeter dans les ténèbres ceux qui ont élu des représentants sous certaines étiquettes, car cela empêche de les "reconquérir".
En synthèse, le débat souligne la complexité de gouverner dans un environnement politique fragmenté et de crise démocratique.
Si la radicalité et le compromis semblent opposés, ils sont présentés comme potentiellement complémentaires, la radicalité pouvant définir l'horizon des principes et le compromis la méthode pour les concrétiser dans la réalité.
Le défi majeur est de dépasser la polarisation et la défiance en renforçant la délibération, en adaptant les pratiques politiques et en redécouvrant les potentialités de la Constitution, tout en maintenant la fermeté sur les principes fondamentaux de l'état de droit. La question de la violence et de la détestation de l'autre est perçue comme une menace sérieuse nécessitant une attention renouvelée.