Document d'information : La Santé Mentale des Mineurs en France
video Présentation du rapport à l'Assemblée nationale
Résumé
Ce document synthétise les conclusions du rapport d'information de l'Assemblée Nationale sur la santé mentale des mineurs.
Le constat principal est un écart grandissant et critique entre une demande de soins en forte augmentation et une offre de soins publique saturée, sous-financée et géographiquement inégale.
Cette crise systémique entraîne des prises en charge tardives, un recours accru aux psychotropes et une saturation des services d'urgence.
La hausse de la demande est un phénomène multifactoriel, résultant d'une meilleure détection des troubles et d'une moindre stigmatisation, mais aussi de l'impact croissant de déterminants sociaux, environnementaux et numériques.
Les violences intrafamiliales, la précarité, la pression scolaire (notamment via Parcoursup), l'exposition aux écrans et un contexte général anxiogène (géopolitique, environnemental) sont identifiés comme des facteurs majeurs.
Les populations les plus vulnérables, notamment les enfants suivis par l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE) et les mineurs non accompagnés (MNA), sont particulièrement touchées et leur prise en charge est souvent défaillante.
Face à cette situation, le rapport préconise une double stratégie ambitieuse.
D'une part, il appelle à une consolidation de l'offre de soins existante, en réaffirmant les principes fondateurs de la psychiatrie de secteur.
Cela implique de renforcer le maillage territorial, de rendre effective une gradation des soins (médecins généralistes, Maisons des Adolescents en première ligne ; Centres Médico-Psychologiques comme pivot ; centres de crise pour les urgences) et d'améliorer la coordination entre les secteurs sanitaire, social et éducatif.
D'autre part, le rapport insiste sur la nécessité de déployer des politiques de prévention robustes, en agissant sur trois environnements clés :
1. L'environnement familial : via un soutien renforcé à la parentalité, notamment durant la période périnatale (les 1000 premiers jours).
2. L'environnement scolaire : en restaurant la capacité de détection précoce des services de santé scolaire et en apaisant un climat jugé trop compétitif et anxiogène.
3. L'environnement numérique : par une régulation de l'usage des écrans et des campagnes de prévention sur les dangers de l'addiction.
La mise en œuvre de ces recommandations nécessite un investissement financier pérenne, une revalorisation des professions de la pédopsychiatrie pour renforcer leur attractivité, et une meilleure formation de l'ensemble des professionnels au contact des enfants.
Perspectives des Rapporteures
Les deux co-rapporteures, bien que partageant de nombreuses préconisations, soulignent des priorités et des analyses distinctes dans leurs avant-propos.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé met l'accent sur :
• La prévention comme axe clé, en particulier durant la période de la conception aux deux ans de l'enfant.
• Le rôle décisif des parents, insistant sur les conséquences de leur absence psychique ou physique et le manque de cadre.
• Les dangers de l'addiction aux écrans, soutenant la majorité numérique et une "pause numérique" dans les établissements scolaires.
• La nécessité d'une meilleure gradation des soins et d'une coopération renforcée entre les secteurs public et privé pour désengorger les Centres Médico-Psychologiques (CMP).
Mme Anne Stambach-Terrenoir insiste sur :
• Le manque structurel de moyens de la pédopsychiatrie publique, critiquant une "réponse néolibérale" qui privilégie la réorganisation à l'investissement.
• Les déterminants sociaux des troubles mentaux, liant la dégradation de la santé mentale à l'augmentation des inégalités sociales, à la précarité et aux évolutions du monde du travail (horaires atypiques).
• Les effets anxiogènes du système scolaire, citant Parcoursup et les réformes Blanquer comme des facteurs aggravants.
• L'urgence de redonner des moyens financiers et humains aux services publics existants (santé, Éducation nationale, ASE) plutôt que de financer des "projets innovants" non pérennes.
I. Un Écart Croissant entre la Demande et l'Offre de Soins
Le rapport dresse le constat d'une crise profonde, caractérisée par une demande de soins psychiques exponentielle face à une offre contrainte, fragmentée et souvent inaccessible.
A. Un Enjeu de Santé Publique Majeur
1. Augmentation et Nature de la Demande de Soins
• Prévalence : Selon la DGOS, 1,6 million d'enfants et d'adolescents en France souffriraient d'un trouble psychique.
• Données Épidémiologiques :
◦ L'enquête Enabee (2022) révèle que 13 % des enfants de 6 à 11 ans et 8,3 % des 3-6 ans présentent un trouble probable de santé mentale.
◦ L'enquête Enclass (2022) sur les collégiens et lycéens montre que 14 % des collégiens et 15 % des lycéens présentent un risque important de dépression. 24 % des lycéens déclarent des pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois.
• Différences de Genre : Les enquêtes confirment une prévalence plus forte des troubles internalisés (anxio-dépressifs) chez les filles, et des troubles externalisés (comportement, hyperactivité) chez les garçons.
• Interprétation des Données : Plusieurs experts auditionnés appellent à la prudence, soulignant que la notion de "trouble probable" ne constitue pas un diagnostic clinique et qu'il existe un risque de médicalisation excessive de phénomènes développementaux normaux ou de difficultés sociales.
• Une Parole Libérée : L'augmentation des demandes s'explique aussi par une meilleure connaissance des troubles, une déstigmatisation progressive et une plus grande capacité des jeunes et de leurs parents à exprimer une souffrance psychique.
2. Un Phénomène Multifactoriel
La dégradation de la santé mentale des mineurs est le produit de multiples facteurs :
• Violences : 30 % des patients en pédopsychiatrie sont victimes de maltraitance parentale. L'exposition aux violences (physiques, sexuelles, psychologiques, intrafamiliales) est un déterminant majeur.
• Déterminants Sociaux : La précarité, les conditions de logement et le niveau de revenu sont corrélés à un risque plus élevé de développer des troubles mentaux.
• Environnement Numérique : L'exposition excessive aux écrans est unanimement identifiée comme un facteur aggravant les troubles anxieux dépressifs. Elle perturbe le sommeil, isole et expose à des contenus préjudiciables (cyberharcèlement, contenus violents, pornographiques).
• Environnement Social Anxiogène :
◦ Milieu scolaire : Le harcèlement (5% des élèves du CE2 au CM2, 6% des collégiens), la pression liée à la performance, l'inadaptation de certains programmes et un système d'orientation jugé anxiogène (Parcoursup) contribuent au stress et au "refus scolaire anxieux".
◦ Contexte global : L'éco-anxiété et les peurs liées au contexte géopolitique (guerres, attentats) participent également à l'angoisse des jeunes.
3. Prise en Charge Défaillante des Populations les plus Vulnérables
• Aide Sociale à l'Enfance (ASE) : Les enfants suivis par l'ASE sont surreprésentés dans les services de psychiatrie (occupant jusqu'à 40-50 % des lits d'hospitalisation à temps plein). Leurs parcours chaotiques et les carences affectives engendrent des troubles sévères, mais leur suivi médical est souvent défaillant et discontinu.
L'hôpital se substitue parfois à un lieu d'hébergement.
• Mineurs Non Accompagnés (MNA) : Ces jeunes souffrent massivement de stress post-traumatique lié à des parcours migratoires extrêmement violents (guerres, torture, naufrages).
Leurs conditions d'accueil et les procédures d'évaluation de leur minorité aggravent leur vulnérabilité et complexifient leur accès aux soins.
B. Une Offre de Soins Insuffisante et Illisible
Le système de la "sectorisation", conçu pour garantir un accès équitable aux soins, est aujourd'hui saturé.
1. Une Offre Contrainte face à une Demande Croissante
• Moyens Inadaptés : 58 % des lits d'hospitalisation en pédopsychiatrie ont été supprimés entre 1986 et 2013. De nombreux jeunes sont hospitalisés en services pour adultes, avec les risques que cela comporte.
• Pénurie de Soignants : La situation est critique, notamment pour les pédopsychiatres, dont le nombre a diminué de 34 % entre 2010 et 2022.
La profession est vieillissante (moyenne d'âge de 60 ans) et peu attractive pour les jeunes médecins.
La pénurie concerne également les infirmiers, les médecins scolaires et les psychologues dans le secteur public.
• Disparités Territoriales : L'accès aux soins est très inégal. La densité de pédopsychiatres varie fortement d'une région à l'autre (ex: 9 pour 100 000 jeunes en PACA, 3 en Hauts-de-France).
Les zones rurales et les départements d'outre-mer sont particulièrement sous-dotés.
2. Une Multiplicité d'Acteurs Rend l'Offre Illisible
Bien que des structures comme les Maisons des Adolescents (MDA) et les Équipes Mobiles (EMPEA) jouent un rôle crucial, la multiplication des dispositifs et des centres experts (qui posent des diagnostics sans assurer de suivi) rend le parcours de soins complexe et illisible pour les familles.
3. Des Conséquences Déléteres
• Prise en Charge Tardive : Les délais d'attente pour un premier rendez-vous en Centre Médico-Psychologique (CMP), pivot du système, peuvent atteindre 12 à 18 mois, conduisant à une aggravation des troubles.
• Recours Accru aux Psychotropes : Face à la saturation des dispositifs de suivi thérapeutique, la prescription de psychotropes aux mineurs a augmenté de 18 % entre 2019 et 2023.
Cette médicalisation est souvent perçue comme une solution par défaut.
• Saturation des Urgences : Faute de prise en charge en amont, les services d'urgence deviennent le lieu du premier diagnostic lors de crises aiguës, ce qui contribue à leur engorgement.
II. Stratégies de Consolidation de l'Offre et de Prévention
Le rapport formule 53 recommandations visant à la fois à renforcer le système de soins existant et à mettre en œuvre une politique de prévention ambitieuse.
A. Améliorer la Prise en Charge
1. Rendre l'Offre de Soins Graduée et Effective
• Réaffirmer le Rôle du Secteur : La priorité est de consolider le maillage existant plutôt que de créer de nouveaux dispositifs. Le CMP doit rester le pivot du parcours, avec un accueil inconditionnel.
• Mettre en Place une Gradation Claire :
◦ Premier niveau : Médecins généralistes, pédiatres, psychologues de ville et Maisons des Adolescents (MDA), qui doivent être adossées à des centres de soins.
◦ Deuxième niveau : Les CMP, dont les moyens et le maillage doivent être renforcés (objectif : un accès en moins de 30 minutes pour chaque enfant).
◦ Gestion des crises : Création de centres de crise adossés aux urgences pédiatriques pour les épisodes aigus, limitant ainsi le recours aux urgences générales.
2. Renforcer la Formation et l'Attractivité des Professions
• Formation : Il est crucial de mieux former tous les professionnels : médecins généralistes (détection précoce), infirmiers (stage obligatoire en psychiatrie, développement de la pratique avancée), professionnels de la petite enfance (théorie de l'attachement).
• Attractivité : Pour lutter contre la pénurie, il est préconisé de revaloriser les salaires et les tarifs des consultations, d'améliorer les conditions de travail et de créer une chaire de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent dans chaque CHU pour revaloriser la discipline.
3. Améliorer la Coordination et le Financement
• Coordination Intersectorielle : Une meilleure articulation est nécessaire avec l'ASE (création de structures mixtes soin-hébergement), l'Éducation nationale (redynamisation des RASED, intégration de la santé scolaire dans les projets de santé mentale) et le secteur médico-social (adossement des CMPP au secteur sanitaire).
• Financement : Le rapport appelle à pérenniser et flécher les budgets de la pédopsychiatrie, à privilégier les dotations pluriannuelles aux appels à projets, et à réformer le codage des actes pour valoriser le temps de coordination et d'échange avec les familles, qui est au cœur du soin pédopsychiatrique.
B. Privilégier les Politiques Préventives
1. Agir sur l'Environnement Familial
• Périnatalité et 1000 Premiers Jours : C'est une période cruciale. Il faut développer les équipes dédiées à la périnatalité dans chaque CMP, étoffer les unités d'hospitalisation conjointes parents-bébé et généraliser les "maisons des 1000 premiers jours" pour accompagner tous les parents.
• Soutien à la Parentalité : Les parents sont des acteurs essentiels de la prise en charge.
Il faut renforcer les dispositifs qui les accompagnent et les forment, notamment via des associations et des groupes de parole.
2. Agir sur l'Environnement Scolaire
• Renforcer la Santé Scolaire : Il est urgent d'engager un plan de recrutement massif de médecins scolaires, d'infirmiers et de psychologues de l'Éducation nationale pour atteindre des ratios acceptables.
• Rendre la Détection Précoce Effective : Les bilans de santé à 6 ans et 12 ans doivent être systématiquement réalisés et inclure un volet de dépistage des troubles de santé mentale.
• Apaiser le Climat Scolaire : L'école doit devenir un lieu moins anxiogène, en favorisant les compétences psychosociales (cours d'empathie) et en réformant un système d'orientation jugé trop précoce et compétitif.
3. Agir sur l'Environnement Numérique
• Responsabiliser les Parents : Il est essentiel de sensibiliser les parents à leur propre usage des écrans et à l'"absence psychique" qui en découle, ainsi qu'à la nécessité de passer du temps qualitatif sans écrans avec leurs enfants.
• Déployer des Campagnes de Prévention : Des campagnes massives sur les dangers de l'addiction aux écrans sont nécessaires.
• Réguler à l'École : La "pause numérique" (interdiction des téléphones portables) doit être généralisée dans tous les établissements scolaires.
La majorité numérique doit également être rendue effective pour protéger les plus jeunes.