Synthèse de l'Audition de Claire Hédon, Défenseure des droits
L'audition de Claire Hédon, Défenseure des droits, a été l'occasion de présenter le rapport annuel d'activité de son institution, soulignant son rôle crucial dans la protection et la promotion des droits et libertés en France.
Elle a exprimé une vive inquiétude face à la fragilisation des droits, exacerbée par un discours qui les présente comme des obstacles, ainsi que par la dématérialisation excessive des services publics et le désengagement de l'État dans les territoires.
Deux alertes majeures ont été mises en lumière : l'ampleur croissante des discriminations et les défaillances de l'administration numérique, notamment pour les étrangers.
1. Mission et Cadre d'Action de l'Institution
La Défenseure des droits a rappelé que son institution, inscrite dans la Constitution, a pour mission de "veiller au respect des droits et des libertés". Ses cinq domaines de compétence sont :
- La défense des droits des usagers dans leurs relations avec les services publics.
- La défense et la promotion des droits de l'enfant et de l'intérêt supérieur de l'enfant.
- La lutte contre les discriminations et la promotion de l'égalité.
- Le respect de la déontologie des forces de sécurité.
- L'information, l'orientation et la protection des lanceurs d'alerte.
- L'institution, forte de 256 agents professionnels du droit et de 620 délégués bénévoles répartis sur tout le territoire, a traité près de 141 000 réclamations en 2024. Hédon a souligné l'efficacité de la médiation, avec 80 % des réclamations traitées par cette voie et les trois quarts aboutissant à un règlement amiable, permettant d'éviter la judiciarisation des conflits. Elle a insisté sur l'indépendance de son rôle, qui lui permet de "dire et d'obtenir des avancées" et de "faire émerger des sujets dans le débat public".
2. Une Inquiétante Fragilisation des Droits
Claire Hédon a exprimé une profonde inquiétude quant à la "fragilisation et l'éloignement des services publics liés à une dématérialisation excessive, un désengagement de l'État dans les territoires", ce qui "conduisent immanquablement à une fragilisation et à un éloignement des droits".
Cette dynamique "mine l'effectivité des droits, génère d'ailleurs du ressentiment contre les institutions, génère aussi des tensions dans la société et abîme le sentiment d'appartenance à la République".
3. L'Ampleur Croissante des Discriminations
Les discriminations sont un "phénomène très préoccupant" dont l'ampleur "inquiète à la mesure d'ailleurs du non recours en la matière".
Elle a fourni des chiffres éloquents :
- 18 % de la population de 18 à 49 ans déclarait avoir été discriminée en 2020, contre 14 % en 2008.
- Un jeune sur trois (18-34 ans) a été victime de discrimination, selon le 14ème baromètre avec l'OIT.
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Hausse de 52 % du nombre de victimes de discrimination entre 2021 et 2022.
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Malgré ces chiffres, les réclamations auprès de l'institution ont baissé de 15 % en 2024, ce qui interpelle la Défenseure. Le "non recours" s'explique par la "peur des représailles, le sentiment d'inutilité, le découragement, les difficultés à établir les faits [et la] méconnaissance des droits".
Les discriminations liées à l'origine (cumulées avec nationalité, apparence physique et conviction religieuse) représentent 25 % des réclamations, avec un pic d'appels (+53%) en mai-juin 2024 pour des propos haineux.
Claire Hédon regrette un "essoufflement des politiques publiques" et que la "non-discrimination comme objectif politique a pratiquement disparu du débat public et des discours des décideurs qui préfèrent parler de diversité de lutte contre les discours de haine".
Elle a insisté sur l'importance de faire appliquer le droit existant plutôt que d'ajouter de nouveaux critères.
Des exemples concrets de médiations réussies ont été cités, comme l'accès à un logement décent ou le non-renouvellement de CDD lié à un état de grossesse.
4. Défaillances de la Dématérialisation et Droits des Étrangers
- Le deuxième point d'alerte concerne les "atteintes aux droits causées par la fragilisation du service public dématérialisé", en particulier le cas de l'Administration Numérique des Étrangers en France (ANEF).
Les réclamations concernant les relations avec les services publics représentent 90 % des saisines, dont 37 % pour les droits des étrangers en 2024 (contre 10 % en 2019 et un quart en 2023).
La "multiplication des dysfonctionnements de l'administration numérique des étrangers en France prive trop souvent les personnes étrangères de la possibilité même de formuler une telle demande".
Ces défaillances touchent majoritairement des personnes déjà intégrées, les plaçant en situation irrégulière et leur faisant perdre emploi et droits.
Les recommandations incluent la reconnaissance du droit à un accès multicanal, la modification du téléservice pour permettre plusieurs démarches simultanées, la facilitation du renouvellement des attestations de prolongation d'instruction (API), et le renforcement des moyens humains dans les préfectures.
Claire Hédon a réaffirmé que, contrairement aux dires du Ministre de l'Intérieur, les dysfonctionnements de l'ANEF n'ont pas diminué.
5. Autres Domaines de Compétence
- Droits de l'Enfant : Le rapport 2024 a porté sur le droit à un environnement sain.
Les 3073 réclamations en 2024 alertent sur les difficultés scolaires des enfants handicapés (manque d'accompagnement), le problème des "lycéens sans lycée" (plus de 23 600 en 2024), et les "violences éducatives au sein d'établissements scolaires".
La Défenseure a plaidé pour un contrôle renforcé des établissements et un suivi rigoureux des professionnels.
- Déontologie des Forces de Sécurité : Sur 2434 saisines en 2024, des "défaillances dans le contrôle hiérarchique" et des "rapports incomplets, erronés ou minimisant les incidents" ont été constatés.
Une décision de décembre 2024 sur la prise en charge d'une femme sous "soumission chimique" a mis en lumière la difficulté à distinguer cet état de l'alcoolisation, appelant à l'amélioration des techniques de détection et à la formation des forces de l'ordre.
- Protection des Lanceurs d'Alerte : Le nombre de saisines a significativement augmenté, passant de 134 en 2022 à 519 en 2024 (soit une hausse de 70 % en 2024). Un pôle spécialisé a été créé. Les lanceurs d'alerte, souvent confrontés à des représailles, sont des "vigies de l'intérêt général".
Les recommandations incluent l'amélioration de la communication autour du dispositif légal, le soutien financier et psychologique, et la réévaluation du périmètre des autorités externes de recueil des signalements (ex: inclure les ARS).
6. Enjeu Prospectif : L'Intelligence Artificielle
- L'IA est une "source de progrès indéniable mais aussi de menaces sur les droits et libertés", notamment par le biais d'algorithmes utilisés dans le recrutement, la gestion des ressources humaines, l'accès aux biens et services, et la lutte contre la fraude.
Le recours au data mining dans la lutte contre la fraude présente des "risques de biais discriminatoires", touchant particulièrement les populations précaires.
Un travail est en cours pour garantir une "action humaine" dans les procédures d'affectation scolaire (Parcoursup, Affelnet).
7. Échanges avec les Parlementaires
Les députés ont posé des questions variées, reflétant les préoccupations locales et nationales :
- Antisémitisme : Bien que l'institution ne soit compétente que sur les discriminations et non les propos, Claire Hédon a noté une augmentation des actes antisémites et des appels au 3928 liés à des propos haineux en général. Elle a insisté sur l'absence de saisines spécifiques pour discrimination antisémite, mais un lien est fait avec le CRIF pour aborder les situations de harcèlement discriminatoire.
- Discrimination liée à la grossesse : Claire Hédon a jugé la loi actuelle "très protectrice" et s'est dite "excessivement inquiète" du nombre de cas, notamment dans la fonction publique et le secteur privé, où des femmes sont poussées à la démission après un congé maternité.
- Services Publics et Dématérialisation : Elle a réaffirmé que le problème n'est pas la dématérialisation en soi, mais le fait d'en faire la "seule porte d'entrée". Elle a appelé à la possibilité de déposer des dossiers papier et à renforcer le contact humain, saluant les initiatives comme la "pirogue France Service" en Guyane.
- Droits des Étrangers : Les parlementaires ont confirmé les difficultés de leurs administrés. Claire Hédon a souligné que les atteintes aux droits des étrangers sont un "marqueur essentiel du niveau de protection plus généralement accordé aux droits et aux libertés dans notre pays". Elle a insisté sur la nécessité du renouvellement automatique des API pour désengorger les préfectures.
- Discrimination des Seniors : Les chiffres du baromètre OIT montrent qu'un quart des seniors a subi une discrimination liée à l'âge, et un sur deux a connu des relations de travail dévalorisantes. Les seniors "non blancs" ou en mauvaise santé sont particulièrement touchés. Des recommandations incluent la sensibilisation, la formation des employeurs et l'anticipation des fins de carrière.
- Refus de Soins Discriminatoires : Un rapport récent a mis en lumière l'ampleur du phénomène, avec des refus de rendez-vous et des minimisations de la douleur. Des "15 500 récits" de patients et soignants ont été reçus. Les recommandations visent à élaborer une stratégie nationale, faciliter les recours et prononcer des sanctions effectives.
- Refus de Dépôt de Plainte : La persistance de refus de dépôt de plainte, particulièrement pour les femmes victimes de violence ou les personnes vulnérables (gens du voyage, handicapés), est une préoccupation.
Bien que les délégués puissent intervenir, il est préférable d'éviter ce refus initial.
- Accès à l'Éducation en Détention : L'institution est "excessivement inquiète" de la situation dans les établissements pour mineurs (EPM), notamment à Marseille, où les enfants sont confrontés à des heures d'éducation insuffisantes et un manque d'activités sportives. Les délégués de la Défenseure sont présents dans les lieux de détention et constatent ces entraves aux droits.
- Statistiques par Sexe : Les statistiques sont disponibles et montrent des différences notables : les femmes saisissent majoritairement sur les droits des enfants, les hommes sur la déontologie des forces de sécurité.
- En conclusion, Claire Hédon a rappelé que la défense des droits et libertés est une "nécessité pour les personnes concernées" et contribue à une "société plus apaisée et plus juste".
Elle a souligné le rôle de son institution comme "pôle de stabilité et de permanence" dans un contexte où les droits sont fragiles, appelant à travailler sur l'effectivité du droit existant plutôt que d'en rajouter.
Elle a enfin mis en garde contre le fait de "monter les populations les unes contre les autres", estimant que cela n'est bénéfique pour personne.