Document d'Information : Le Métier d'AESH et l'École Inclusive
Synthèse
Ce document analyse les conditions de travail des Accompagnants d'Élèves en Situation de Handicap (AESH) et leur impact sur la mise en œuvre de l'école inclusive en France, vingt ans après la loi fondatrice de 2005.
Il ressort un paradoxe central : alors que les AESH sont des acteurs indispensables au fonctionnement de l'inclusion scolaire, leur profession est marquée par une précarité systémique, un manque criant de reconnaissance institutionnelle et une maltraitance latente.
Les conditions de travail se caractérisent par des salaires inférieurs au seuil de pauvreté pour un temps partiel imposé, une absence de formation qualifiante, des missions floues qui favorisent le "bricolage" et une charge physique et émotionnelle considérable.
Cette situation, où les AESH doivent constamment lutter pour leur place et pallier les dysfonctionnements du système, révèle que la maltraitance de ces professionnels se traduit inévitablement par une négligence envers les élèves qu'ils accompagnent, compromettant ainsi les fondements mêmes du projet d'école inclusive.
Analyse Détaillée
1. Le Paradoxe de la Profession d'AESH : Fierté et Maltraitance
La profession d'AESH est traversée par une dualité profonde, identifiée par le chercheur Frédéric Grimau comme un conflit entre une "grande fierté" et une "grande maltraitance".
• Fierté et Utilité Sociale : Les AESH expriment une fierté légitime pour leur travail, conscients de leur rôle essentiel. Ils déploient une "ingéniosité" remarquable pour faire fonctionner l'inclusion, souvent "à bout de bras".
Leur contribution est fondamentale, comme le résume la formule : "sans AESH, il n'y a pas d'école inclusive".
Les témoignages d'élèves confirment ce rôle crucial, évoquant "la complicité" et "la confiance" établies avec leur accompagnant.
• Maltraitance Institutionnelle : En parallèle, les AESH subissent une forme de maltraitance institutionnelle qui se manifeste par une invisibilisation systématique.
◦ Exclusion Symbolique : Ils sont fréquemment omis des communications officielles de la hiérarchie (par exemple, les vœux de bonnes vacances).
L'accès à des espaces communs comme la "salle des profs" leur est parfois refusé, renforçant un sentiment de mise à l'écart.
L'appellation "salle des adultes" ou "salle des personnels" est suggérée comme un premier pas vers la reconnaissance.
◦ Confusion Hiérarchique : L'organisation du travail est marquée par un "flou dans les prescriptions" et dans la chaîne de commandement, illustré par le témoignage : "dans mon école tout le monde est mon chef".
Cette situation est source d'inconfort et de dévalorisation.
2. Des Conditions de Travail Précaires et un Rôle Mal Défini
La précarité matérielle et la définition imprécise du métier constituent des freins majeurs à la professionnalisation et au bien-être des AESH.
Aspect
Description
Salaires et Précarité
La rémunération est basée sur le SMIC horaire, mais les contrats sont majoritairement à temps incomplet, plaçant de nombreux AESH sous le seuil de pauvreté.
Beaucoup sont contraints de cumuler plusieurs emplois (cantine, aide aux devoirs) pour subvenir à leurs besoins, ce qui entraîne une grande fatigabilité.
L'accès aux primes REP/REP+, pour le travail en éducation prioritaire, n'a été accordé qu'en 2023.
Le "Flou" Institutionnel
Le manque de définition claire des missions est pratique pour l'institution qui peut ainsi faire des "économies".
Cependant, ce "flou" contraint les AESH à un "bricolage" permanent, comme l'illustre la situation dégradante d'un change d'élève réalisé avec des sacs poubelles et des rideaux en guise de paravent, soulignant "l'indignité totale" pour l'enfant et les professionnels.
Charge Physique et Émotionnelle
Le métier comporte une pénibilité physique importante (troubles musculosquelettiques dus au port d'élèves, manque d'infrastructures adaptées).
La charge mentale est également très lourde : les AESH travaillent avec le "risque de l'incident" constant (crise, violence, fugue), une pression comparable à celle des conducteurs de bus ou de train.
3. Une Absence de Formation et de Reconnaissance Professionnelle
L'un des principaux griefs concerne l'inexistence d'une véritable formation, ce qui nuit à la légitimité et à l'efficacité des accompagnants.
• Une Formation Inexistante : La "formation" initiale se résume à 60 heures d'"adaptation à l'emploi", souvent dispensées sous forme de "diaporamas" informatifs dans un amphithéâtre, sans aucune mise en pratique.
Ce dispositif, hérité des contrats aidés de 2005, est jugé totalement inadapté à la complexité des situations de handicap.
Les syndicats revendiquent une véritable formation diplômante de niveau Bac+2 sur concours.
• L'Autoformation comme Norme : Face à ce vide, les AESH sont contraints de "s'autoformer".
Le personnage d'Yvan dans la bande dessinée Ulis de Fabien Toulmet, qui se rend à la bibliothèque pour se documenter sur l'autisme, illustre cette réalité.
Myiam Sonaï témoigne avoir dû découvrir seule les spécificités des différentes pathologies (dyslexie, dysorthographie, etc.).
• La Lutte pour la Place : La reconnaissance professionnelle se gagne au quotidien dans les établissements.
Les AESH doivent "se faire leur place" auprès d'équipes enseignantes qui peuvent initialement se montrer distantes.
L'institution ne prévoit pas de temps dédié à la collaboration et à la concertation, pourtant essentiels pour un travail d'équipe efficace.
De plus, les AESH sont souvent exclus des Équipes de Suivi de la Scolarisation (ESS), alors que leur parole est primordiale, étant les professionnels les plus proches de l'élève au quotidien.
4. L'AESH au Cœur des Dysfonctionnements de l'École Inclusive
Les AESH se retrouvent en première ligne pour gérer les contradictions et les lacunes du système.
• Le Rôle de "Tampon" : Selon Fabien Toulmet, les AESH sont dans une "strate intermédiaire" entre les élèves et les professeurs et font "tampon", absorbant les dysfonctionnements du système.
Ils sont souvent amenés à dépasser leurs fonctions pour pallier le manque de personnel, en s'occupant de plusieurs élèves simultanément ou en surveillant l'ensemble d'une classe.
• Dépassement de Fonctions et Gestes Techniques :
Certains se voient confier des tâches relevant du soin, voire du domaine médical (changer une trachéotomie sans formation), alors que la mission d'aide aux "gestes de la vie quotidienne" n'inclut pas les soins.
• Langage et Stigmatisation : Les AESH sont aussi des médiateurs sociaux qui luttent contre la stigmatisation.
Ils doivent naviguer dans un univers de sigles techniques (GEVASCO, MDPH, PIAL) et faire face à un langage parfois infantilisant ("les enfants" pour des adolescents).
Ils sont également confrontés à l'usage du mot "Ulis" comme une insulte entre élèves, reflétant la persistance des préjugés.
5. Évolutions et Inquiétudes pour l'Avenir
Les réformes récentes et à venir suscitent de vives inquiétudes quant à une dégradation supplémentaire des conditions de travail.
• Les Pôles Inclusifs d'Accompagnement Localisés (PIAL) : Ce dispositif a complexifié le travail en introduisant une "mutualisation" du temps qui se traduit souvent par des affectations multiples et des distances de déplacement importantes.
• Le Pôle d'Appui à la Scolarité (PAS) : Cette nouvelle structure, prévue par la loi, inquiète particulièrement.
Elle vise à étendre les missions des AESH à l'ensemble des élèves à besoins éducatifs particuliers (incluant les élèves allophones, les enfants du voyage, etc.), et pas seulement ceux en situation de handicap.
Cette extension des tâches, sans formation ni revalorisation salariale, risque d'accroître une "charge mentale" déjà très élevée.
• Le Problème Politique : Les intervenants s'accordent sur le fait que les difficultés rencontrées sont le symptôme d'un manque de volonté politique et d'investissement.
L'école inclusive ne peut se construire uniquement sur le "dévouement" des personnels.
Elle nécessite des investissements concrets dans le bâti scolaire, les manuels adaptés, et surtout, dans la reconnaissance et la formation de celles et ceux qui la rendent possible au quotidien.