Compte Rendu Détaillé : L'école et les enfants d'immigrés en France
- Ce compte rendu explore les thèmes centraux et les idées essentielles abordées dans l'émission "France culture être et savoir L'école d'aujourd'hui fait-elle moins bien avec les enfants d'immigrés".
Les discussions, menées par Louis Touret, impliquent le sociologue Stéphane Beau, auteur de "La France des Béloui, portrait de famille 1977-207", et Véronique Desquer, enseignante en éducation prioritaire depuis 30 ans.
Magid Cherfi, chanteur du groupe Zebda et écrivain, et Dominique Garcia, archéologue et président de l'INRAP, partagent également leurs expériences personnelles.
L'émission s'articule autour de l'impact de l'école française sur les enfants d'immigrés, l'évolution du rôle des enseignants et de la politique en la matière, les défis de la ségrégation sociale et spatiale, et le rôle crucial de l'école dans l'intégration sociale.
I. L'École comme Porte d'Entrée et Facteur de Réussite Sociale
L'école est présentée comme un lieu d'espoir et de possibilités, particulièrement pour les enfants d'immigrés. Stéphane Beau souligne l'importance du diplôme dans la société française et le rôle majeur de l'école dans la transmission des savoirs en milieu populaire.
- Le témoignage de Magid Cherfi : Né en 1962, il est le seul bachelier de sa cité à Toulouse en 1980. Il décrit l'école comme "une des portes qui nous permettent d'entrer en France".
L'instituteur y incarne un principe d'égalité, contrastant avec les discriminations vécues dans la rue où ils sont traités comme des "bougoules" ou des "indigènes". Ce sentiment d'égalité est "presque martien" pour lui.
* Le parcours exemplaire de Samira Beloui : Stéphane Beau raconte l'histoire de Samira, l'aînée d'une famille de huit enfants immigrés d'Algérie. Arrivée en France à 7 ans sans maîtriser le français, elle est "éblouie, entre guillemets, sauvée par un système scolaire français". Ses institutrices sont décrites comme des figures dévouées : "Moi, j'ai une une affection sans borne pour mes institutrices. Elles m'ont aidé, elles m'ont sauvé". L'une d'elles restait même "une heure avec cette jeune fille Samira lui apprenant le français, ne comptant pas son temps." Samira obtient un bac et devient infirmière, une "réussite éclatante" malgré ses responsabilités familiales.
* La stratégie parentale et la mixité sociale : Le père des Beloui, bien qu'analphabète, a "choisi un HLM où il y a moins d'étrangers que dans les tours et les barres du même quartier", favorisant une école primaire "un peu plus mixte avec des enfants de classe moyenne pavillonnaires". Ce choix, combiné à l'engagement des instituteurs des années 70, a contribué à la réussite scolaire des aînés.
* L'école, dernier service public : Véronique Desquer réfute l'idée que l'école aurait "démissionné" en soulignant qu'elle est souvent "le dernier service public qui est encore ouvert dans le quartier".
II. L'Évolution du Rôle des Enseignants et les Conditions d'Enseignement
L'émission met en lumière un changement significatif dans le profil et les conditions de travail des enseignants, particulièrement dans les quartiers populaires.
- L'enseignant "militant" d'autrefois : Stéphane Beau et Véronique Desquer évoquent une époque où de nombreux instituteurs habitaient dans les cités, créant un lien plus fort avec les communautés. "Beaucoup d'instituteurs habitaient dans les cités", se souvient Véronique Desquer, soulignant que "ça changeait un certain nombre de choses dans les rapports sociaux".
Ces enseignants étaient souvent issus de milieux populaires, des "miraculés scolaires" qui avaient "à cœur de transmettre ce savoir et notamment aux enfants de milieu populaire comme eux". L'esprit de corps et l'engagement pour la République étaient forts.
- La suppression des écoles normales et ses conséquences : La fin des écoles normales et l'élévation du niveau de recrutement (Bac+3, Bac+4) ont modifié le profil des enseignants. Véronique Desquer explique que les instituteurs du 20e siècle étaient souvent "de bons élèves mais dont les parents n'ont pas les moyens financiers de les envoyer au lycée".
L'école normale leur offrait des "études supérieures pour des gens qui n'ont pas les moyens d'aller à l'université". Aujourd'hui, beaucoup d'enseignants vivent leur métier comme un "déclassement" en raison des salaires faibles et des difficultés à trouver des postes près de chez eux.
- Des conditions d'enseignement plus difficiles : Stéphane Beau insiste sur le fait que "les conditions matérielles d'enseignement sont aussi beaucoup plus difficiles" aujourd'hui, rendant le travail des enseignants dans ces quartiers "beaucoup plus difficile".
III. Les Inégalités et la Ségrégation Sociale et Spatiale
L'émission aborde la permanence et l'aggravation des inégalités scolaires, étroitement liées aux changements socio-spatiaux.
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L'échec de l'école française pour les enfants de catégories populaires : Une étude du KNESCO est citée, indiquant que l'école française est "pas très forte pour faire réussir les enfants d'immigrés" car elle n'est "pas très performante à faire réussir les enfants de catégorie populaire où on trouve les enfants d'immigrés".
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La précarisation des familles : Véronique Desquer et Stéphane Beau mettent en avant la "précarité" et "l'instabilité" croissante des familles populaires. Les parents, "tellement envahis par leurs propres problèmes", sont moins "disponibles psychiquement pour leurs enfants".
Cette "accumulation de d'instabilité" affecte directement la scolarité des enfants.
Stéphane Beau fait le parallèle avec la famille Beloui, qui, bien que "pauvre", a vécu une enfance "pas malheureuse" grâce à une "sécurisation affective" et un "avenir qui était ouvert devant eux".
- Le changement de sens du mot "cité" : Stéphane Beau note un "anachronisme" dans l'utilisation du mot "cité", qui a pris un sens "dévalorisant" avec l'aggravation de la ségrégation.
Auparavant, ces quartiers étaient vus comme des lieux où habitaient des professionnels de toutes sortes, y compris des footballeurs célèbres.
Véronique Desquer ajoute que le mot "cité" désignait les "cités de transit" entre les bidonvilles et les ZUP, qui étaient alors "enviées par tout le monde".
- Le cumul des difficultés : La "précarisation" des familles, combinée à une école "moins soutenue dans ces quartiers-là" et à l'aggravation de la "ségrégation scolaire", crée un "cumul de choses" qui rend la réussite plus difficile.
IV. La Différence Filles/Garçons et son Explication Sociologique
Une différence "majeure et cruciale" est observée dans les parcours scolaires au sein de la famille Beloui : "cinq filles Bachelière (...) et des garçons beaucoup moins diplômés".
- Motivation et "voie de salut" pour les filles : Stéphane Beau explique que pour les filles, l'école est une "voie de salut".
Elles savent que "ce n'est que par l'école qu'elles pourront réussir une vie professionnelle et surtout échapper pour cette génération des aînés au mariage qui les attend".
Cette menace du mariage est une "formidable incitation à réussir à l'école". Les filles font preuve de "bonne volonté scolaire, une disposition scolaire, un suivi d'elle-même, un travail régulier".
- L'influence des pairs et le rôle de l'extérieur pour les garçons : Les garçons, bons élèves en primaire, "se gâtent" au collège.
C'est à ce moment que "va jouer à fond le rôle des pères [pairs], des amis, des copains et cetera et des sorties". Les filles ayant "beaucoup moins le droit de sortie", cette dynamique affecte davantage les garçons qui "vont progressivement dérailler".
Les garçons ont tendance à "reprocher au système scolaire, aux enseignants" leur échec, mais certains finiront par admettre : "C'est vrai, j'ai déconné à l'école".
- L'éducation genrée et le rôle des aînés : Véronique Desquer confirme que "l'éducation genrée est très forte" et que les activités périscolaires peuvent renforcer ces dynamiques.
Les filles, moins sujettes aux sorties, ont "plus envie sans doute de progresser et d'apprendre pour s'en sortir parce que il y a un enfermement".
Les sœurs aînées jouent un rôle de "protection" pour leurs frères, "elles vont suivre elles vont (...) surveiller les bulletins, qui vont rencontrer les enseignants".
V. Le Rapport à la Politique et à la Gauche
L'émission explore également l'interaction entre les familles immigrées et le monde politique, en particulier la gauche.
- Politisation par l'école et les associations : Stéphane Beau observe que les parcours scolaires des filles Beloui leur permettent de "se socialiser d'entrer dans le jeu politique".
Elles s'intéressent à la politique parce que "la politique va s'intéresser à eux". La fréquentation des clubs de sport et des associations militantes locales (souvent communistes ou de gauche) joue un rôle crucial.
Leila, la deuxième sœur, est "très marquée par justement ce qu'on fait pour nous malgré tout, les vacances pour nous et cetera sans distinction à égalité".
- Le "rendez-vous manqué" de la gauche : Véronique Desquer critique la gauche qui, dans les "banlieues rouges", n'a "pas accepté de voir que la classe ouvrière changeait et que les immigrants devenaient des Français et que leurs enfants devenaient des Français de souche".
Elle estime que la mairie PC de Bobigny a perdu la ville car elle n'a pas su faire de place aux habitants issus de l'immigration. Stéphane Beau cite le livre "La gauche et les cités enquête sur un rendez-vous manqué" de Lilier Mascle, qui explique comment "le ratage la succession des générations ne s'est pas faite".
- L'affaire Charlie et l'intégration sociale : Le rapport à "être Charlie" au sein de la famille Beloui est un révélateur des différences d'intégration sociale et de politisation.
Les trois sœurs aînées se disent "Charlie" et manifestent, tandis que les autres, notamment les garçons moins diplômés, sont plus "réactifs" et "dans la théorie du complot", manifestant une "logique de provocation". Stéphane Beau insiste sur la complexité de ces positions, ni "Charlie" ni "anti-Charlie".
VI. Le Récit du Réel et la Mobilité Sociale
Les intervenants soulignent l'importance de raconter la réalité des familles populaires et immigrées pour contrer les discours sensationnalistes.
- Le besoin de récits "ordinaires" : Stéphane Beau explique que son livre vise à raconter "l'histoire ordinaire d'une famille algérienne ordinaire, celle dont on ne parle jamais, qu'on ne raconte jamais".
Il s'oppose aux récits sensationnalistes centrés sur la "tentation radicale", affirmant que "la France des Benoui, c'est la France majoritaire de ces familles immigrées, mais celle dont on parle jamais parce que tranquillement leurs enfants essayent de faire leur place dans la société française".
Il y voit une "utilité publique" pour "donner une autre image de la société".
- La mobilité sociale des familles immigrées : Véronique Desquer, bien que non sociologue, écrit pour "faire un récit du réel qui soit un réel étayé dans le temps".
Elle déplore les "affirmations d'autant plus péremptoires qu'elles ne sont étayées par rien" de la part de "spécialistes de la banlieue auto-proclamés".
Elle conclut sur une note positive, soulignant que les familles d'origine maghrébine "sont en train de quitter progressivement les HLM pour aller vivre ailleurs", ce qui est "la preuve d'une vraie mobilité sociale" et démontre que "l'école n'a rien réussi [mais] la mobilité sociale qui est celle de ces familles issues de l'immigration fera preuve puisque ils n'ont hérité de rien hein les béomis à part de l'école publique."
VII. L'Archéologie de l'Enfance et la Découverte du Monde
Le témoignage de Dominique Garcia offre une perspective différente sur l'impact de l'école.
- Découverte de l'histoire et du paysage : Son parcours scolaire, dans une "école moderne" mais avec des "vieilles cartes" de Vidal de la Blache, lui a permis de découvrir que "nos paysages avaient été occupés avant nous".
Un club d'archéologie au collège, animé par un professeur de lettres classiques, lui a ouvert le monde en lui montrant que "les Romains sont venus dans la région pour exploiter du cuivre c'est eux qui introduit la vigne".
- Connexion au monde par l'histoire : L'école lui a fait comprendre qu'ils n'étaient "non pas le centre du monde mais le bout du monde".
Cette "géographie était mêlée d'histoire", l'incitant à "élargir son champ de vision" et à voyager pour fouiller des sites archéologiques.
- En somme, l'émission brosse un tableau complexe et nuancé de l'école française face aux défis de l'immigration et des inégalités sociales.
Elle souligne le rôle crucial de l'école comme vecteur de mobilité sociale, tout en pointant du doigt les transformations qui ont rendu son action plus difficile, notamment la précarisation des familles et la ségrégation sociale.
Le rôle des enseignants, l'évolution de la politique éducative et la nécessité de récits authentiques pour comprendre ces réalités sont également des fils conducteurs majeurs.