Document de Synthèse : L'Importance des Compétences Sociales et Comportementales en Éducation
Source : Extraits de "Approches expérimentales en éducation (4) - Agir pour l'éducation (2023-2024)" - Conférence d'Élise Huillery.
Introduction : Un Déficit Français en Compétences Clés
La conférence d'Élise Huillery, chercheuse affiliée à J-PAL et professeure à Dauphine, met en lumière l'importance croissante des compétences sociales et comportementales dans la réussite scolaire et professionnelle.
Ces compétences, souvent désignées sous d'autres termes tels que "soft skills", "compétences non cognitives" (bien que ce terme soit considéré comme impropre) ou "compétences socio-émotionnelles", sont cruciales non seulement pour l'acquisition de connaissances, mais aussi pour le bien-être général des individus et leur insertion dans la société.
Un constat alarmant est dressé concernant la France : les élèves français présentent un déficit "très singulier" de ces compétences par rapport aux autres pays de l'OCDE.
Ce déficit se manifeste à travers plusieurs indicateurs psychologiques et comportementaux, qui ont des répercussions significatives sur leur parcours.
I. Définition et Mesure des Compétences Sociales et Comportementales
Élise Willer distingue deux grandes catégories de compétences :
Compétences Comportementales (rapport à soi) : Confiance en soi / Auto-efficacité : Le sentiment d'être capable de réussir des tâches.
Optimisme : La capacité à voir le positif et à croire en ses propres capacités.
État d'esprit de développement (Growth Mindset) : La conviction que l'intelligence et les capacités peuvent progresser avec l'effort et l'entraînement, par opposition à un état d'esprit fixiste où l'intelligence est perçue comme innée et immuable.
"L'intelligence c'est comme un muscle ça progresse en s'entraînant on va connecter des neurones en s'entraînant et donc on va développer son intelligence".
Locus de contrôle (interne/externe) : La perception de la source de contrôle de sa propre vie.
Un locus de contrôle interne signifie que l'individu pense que ce qui lui arrive dépend de ses propres actions, tandis qu'un locus externe attribue la réussite ou l'échec à des facteurs extérieurs incontrôlables (chance, destin).
Contrôle de soi / Autodiscipline : La capacité à différer une gratification immédiate pour un bénéfice futur plus important, à s'imposer des efforts.
Persévérance : La capacité à maintenir ses efforts face aux difficultés, étroitement liée à l'état d'esprit de développement.
Compétences Sociales (rapport aux autres) :
-
Coopération : La capacité à travailler ensemble efficacement pour atteindre un objectif commun.
-
Empathie : La capacité à prendre en considération le point de vue d'autrui et l'impact de son propre comportement sur les autres.
Respect et Tolérance.
Sentiment d'appartenance : Le sentiment de faire partie d'un groupe, d'être soutenu et de contribuer à la réussite collective.
Ces compétences sont mesurées principalement via des questionnaires (avec de multiples items pour construire des indices synthétiques) et parfois par des tâches comportementales (jeux de confiance ou de coopération) considérées comme plus fiables car mettant les individus en situation réelle.
II. Le Constat d'un Déficit Français Particulier
Les données des enquêtes internationales comme PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) de 2012 et 2018 révèlent un déficit marqué des élèves français :
État d'esprit de développement : La France est "plutôt dans le bas" par rapport à la moyenne des pays de l'OCDE.
Anxiété : Les élèves français sont "au-dessus de la moyenne des pays de l'OCDE" en termes d'anxiété.
Perception de ses compétences : Alors que le niveau en mathématiques des élèves français est proche de la moyenne de l'OCDE, ils se sentent "moins compétents en moyenne que la moyenne", indiquant un "problème de perception de ses compétences".
Persévérance : Les élèves français "lâchent davantage l'affaire quand ils y arrivent pas", un déficit "très net".
Ouverture à la résolution de problème : Ils ont "moins plaisir qu'ailleurs à découvrir des problèmes et à essayer de les résoudre".
Locus de contrôle : Il est "beaucoup plus externe que la moyenne", signifiant une perception que leur réussite dépend de facteurs extérieurs qu'ils ne contrôlent pas. Coopération :
La France affiche le "niveau de coopération le plus faible de tous les pays de l'OCDE".
Sentiment d'appartenance : Il est "plutôt négatif" à l'école.
Résolution collaborative de problèmes : Le score est inférieur à la moyenne.
Ce tableau psychologique des élèves français est jugé "pas très réjouissant".
Inégalités Sociales : Ce déficit global est exacerbé par les inégalités sociales.
À niveau scolaire égal, les élèves d'origine sociale défavorisée se perçoivent comme "moins bons que les élèves favorisés".
Le même phénomène est observé chez les filles par rapport aux garçons.
III. Les Effets Multiples de ces Compétences : Le "Triple Dividende"
La recherche montre que ces compétences ne sont pas de simples "traits culturels" sans impact, mais qu'elles jouent un rôle "important" sur :
- La Réussite Scolaire :
- État d'esprit de développement : Des études en Norvège (2019), aux États-Unis (Yeager, 2019) et une étude menée en France par Élise Willer (Chouet, Allan) montrent qu'une intervention ciblée sur la plasticité cérébrale et l'état d'esprit de développement peut augmenter les notes scolaires et réduire le redoublement.
Le programme "Énergie Jeune" (France) :
Mis en place dans des collèges REP et REP+, ce programme de 12 séances sur 4 ans (de la 6ème à la 3ème), animé par des bénévoles, vise à déconstruire l'idée fixiste du niveau scolaire et à renforcer le locus de contrôle interne.
- Résultats : Une augmentation des notes de 7% d'un écart-type, un effet "très important relativement à l'investissement que ça demande".
Cet effet est comparable à des dispositifs beaucoup plus coûteux comme le dédoublement des classes de CP.
Le programme change les perceptions des chances de réussite, améliore les comportements en classe (diminution des retards, absences, sanctions en 3ème) et a un "petit effet sur également donc les ambitions scolaires à plus long terme".
- Limites : L'effet est plus fort chez les élèves ayant des comportements disciplinés à l'entrée en 6ème, et moins chez les élèves les plus difficiles, qui sont pourtant ceux "à risque de décrochage".
L'Insertion Professionnelle :
-
Programme longitudinal de Montréal (démarré dans les années 80) : Visant des garçons défavorisés avec des comportements disruptifs pour renforcer le contrôle de soi et les habiletés sociales.
-
Effets : Amélioration de l'autonomie et de la confiance entre pairs.
À très long terme (jusqu'à 37 ans), ce programme a montré des effets "très forts" sur : * Augmentation des revenus du travail (+20%). * Baisse du taux d'inactivité (-10 points). * Baisse de la criminalité (-33% d'arrestations). * Baisse de la dépendance aux aides sociales.
Perry Preschool Project :
Un autre programme axé sur les interactions de groupe et l'autodiscipline, montrant également des hausses de salaire et des études plus longues à l'âge adulte.
Autres Bénéfices Publics :
La réduction des coûts liés * aux redoublements, * aux programmes d'éducation spéciale, * à la criminalité et * aux aides sociales.
- Analyse coût-bénéfice : Le programme de Montréal a rapporté "11 dollars" à la société et à l'individu pour "1 euro investi" à l'âge de 7-9 ans, démontrant que ces programmes doivent être perçus comme des "investissements sociaux".
IV. Recommandations pour l'École et Perspectives
La bonne nouvelle est que ces compétences "ne sont pas fixes" et qu'il est "facile à faire évoluer" ces traits.
Pour rendre l'école plus performante, il est recommandé d'agir sur trois piliers, de manière plus systématique :
-
L'apprentissage coopératif : Enseigner aux élèves à apprendre ensemble. Le coût est faible (formation des enseignants) pour un impact potentiellement "substantiel" (près de 40% d'un écart-type selon l'Education Endowment Foundation).
-
Le développement de l'état d'esprit de développement :
Continuer les efforts pour faire comprendre aux élèves que leurs capacités ne sont pas figées.
- Les méthodes d'évaluation : Les méthodes actuelles françaises sont jugées comme accentuant un "état d'esprit fixiste" et un "sentiment d'incompétence".
Il est nécessaire de "retravailler nos modes d'évaluation" pour des approches qui "expliquent ce qu'il a bien fait, ce qu'il a mal fait et donne des conseils", sans stigmatiser par des "points rouges".
- Ces changements passent "forcément par la formation des enseignants", à la fois initiale et continue.
Un nouveau programme expérimental, Motiveaction, est en cours de développement avec les collègues d'Élise Willer.
Il vise à former 750 enseignants sur ces trois modules (état d'esprit de développement, évaluation pour favoriser les progrès, apprentissage coopératif) afin de "généraliser motivation énergie jeune grâce à une auprès des enseignants" et d'amplifier les gains en compétences et en apprentissages scolaires des élèves. Les résultats de cette expérimentation sont attendus pour 2025.
En synthèse, la conférence insiste sur un paradoxe français : un fort déficit en compétences sociales et comportementales, mais une grande facilité à les faire évoluer avec des investissements raisonnables, générant des bénéfices considérables à long terme.
L'école est identifiée comme un levier essentiel pour cette transformation.