Note de synthèse : Comprendre l'Adolescence à travers le Prisme des Neurosciences et de la Psychologie du Développement (Mathieu Cassotti)
Cette synthèse est basée sur les extraits de la conférence "C'est pas moi, c'est mon cerveau" de Mathieu Cassotti, Professeur en psychologie du développement à l'Université Paris Cité.
L'objectif principal de cette intervention est de déconstruire les perceptions souvent négatives et biaisées de l'adolescence pour proposer une compréhension plus nuancée, fondée sur les spécificités du développement cérébral et les interactions avec l'environnement social.
1. La Perception Biaisée de l'Adolescence
Traditionnellement, l'adolescence est perçue sous l'angle de la prise de risque, des difficultés et de la vulnérabilité. Les adultes ont du mal à comprendre le fonctionnement des adolescents, et cette incompréhension est réciproque.
Les adolescents, malgré les cours de biologie, ont peu d'informations sur leur propre cerveau et ses spécificités. La psychologie a souvent abordé l'adolescence sous l'angle des psychopathologies.
Cassotti et son collègue Grégoire Bord ont cherché à changer cette perspective, arguant que notre perception est souvent biaisée par un "biais de génération" : "on a tendance à considérer que les générations d'après les nôtres sont d'après la nôtre est toujours moins bien que la nôtre les générations d'après sont toujours moins bien ah bah de mon temps on était meilleur".
Ce biais nous pousse à ne pas suffisamment explorer les aspects positifs de cette période. L'engagement des adolescents pour des causes comme la justice sociale ou le climat est souvent minimisé ou dévalorisé par les adultes.
Le livre "C'est pas moi, c'est mon cerveau" vise à vulgariser le fonctionnement du cerveau adolescent pour les adolescents eux-mêmes, afin qu'ils "comprennent un petit peu mieux leur fonctionnement pour qu'ils puissent à partir de cette compréhension euh soit euh faire en sorte de changer un certain nombre de comportements soit au contraire de se sentir légitime de pouvoir essayer de de faire quelque chose et d'essayer de le changer".
2. Le Cerveau Adolescent : Une Période de Développement et de Plasticité
Le cerveau adolescent, bien que similaire en forme à celui de l'adulte, est encore en plein développement, une période qui peut s'étendre "jusqu'à 25 ans".
Cette immaturité n'est pas uniquement biologique mais est fortement influencée par l'environnement.
L'adolescence est une "fenêtre de plasticité particulière" avec des changements tardifs et d'importantes différences interindividuelles (par exemple, le début de la puberté).
Une découverte clé des 20 dernières années en neurosciences, notamment grâce aux travaux de Bétio Ky, est la maturation progressive et hétérogène du cerveau :
Les régions impliquées dans la réactivité émotionnelle (système limbique) maturent beaucoup plus rapidement. Les régions impliquées dans la régulation et le contrôle (cortex préfrontal) maturent plus tardivement.
Ce décalage explique en partie la spécificité de l'adolescence : une "maturation fonctionnelle des systèmes de la réactivité émotionnelle mais pas encore c'est du contrôle".
Cela conduit à une "hypersensibilité émotionnelle" observée dans de nombreuses recherches, notamment face aux stimuli positifs comme les visages exprimant la joie, qui activent fortement le réseau de la récompense.
Cependant, cette immaturité n'est pas une "incapacité" mais plutôt une période "en cours d'apprentissage". L'environnement joue un rôle crucial dans le développement de l'autorégulation émotionnelle.
L'apprentissage de la verbalisation, de l'identification et de la gestion des émotions est essentiel et "très peu enseigné de façon explicite aux adolescents".
3. Émotions Complexes et Prise de Décision
L'hypersensibilité émotionnelle des adolescents n'est pas uniforme pour toutes les émotions.
Si elle est bien établie pour la joie et la peur, les émotions sociales comme la honte, la culpabilité ou la jalousie, ainsi que le regret et le soulagement, sont plus complexes.
Le Regret : Les adolescents ressentent moins de regret que les adultes et l'anticipent moins.
Le regret, défini comme la différence entre le résultat obtenu et ce qui aurait pu être obtenu avec un autre choix, est soutenu par le cortex préfrontal, qui est encore immature. Cela peut expliquer une moindre capacité à apprendre de leurs erreurs dans des situations où le regret est un signal d'apprentissage clé.
Prise de Risque : Concernant la prise de décision et de risque, les adolescents sont "aussi bons que les adultes" à partir de 15 ans lorsqu'ils disposent de toutes les informations nécessaires.
Cependant, leur capacité à apprendre des feedbacks de l'environnement (positifs ou négatifs) est plus difficile que chez les adultes, en particulier lorsque l'information sur le risque n'est pas explicite et doit être extraite de l'expérience.
"ce n'est pas uniquement une question de contrôle c'est aussi parce que ils sont pas des preneurs de risque complètement fous c'est c'est aussi parfois une capacité à apprendre de des feedback qu'il vont avoir de leur environnement positif et négatif et donc là c'est plus difficile que chez les adultes".
4. Influence Sociale et Conformisme
Contrairement à l'idée répandue, les adolescents ne sont pas "davantage des moutons que nous le sommes nous en tant qu'adultes".
Les adultes sont également très sensibles au conformisme social, même dans des situations où la bonne réponse est évidente.
Les études montrent que le conformisme social est maximal chez les enfants et "minimal à l'adolescence à l'âge de 17 ans".
Cependant, cette tendance s'inverse dans les situations d'incertitude et surtout en contexte social, où les adolescents peuvent montrer une "hypersensibilité au contexte social", particulièrement dans les situations de prise de risque.
En présence de leurs pairs, ils sont enclins à prendre plus de risques.
L'imagerie cérébrale révèle que cette influence sociale n'affecte pas le contrôle mais stimule le réseau de la récompense. Deux interprétations sont proposées :
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Le contexte social stimule la sensibilité aux récompenses immédiates.
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La "représentation qu'ils ont de la norme sociale de ce qui est valorisé par leur père" inclut la prise de risque, menant à une récompense sociale. Cette seconde interprétation est privilégiée par Cassotti, d'autant plus que l'effet est plus prononcé chez les garçons que chez les filles, reflétant des normes sociales différentes.
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Lorsque l'observateur change (par exemple, la mère au lieu des pairs), l'activation du striatum ventral (récompense) diminue et les régions de contrôle s'activent, réduisant la prise de risque.
Cela souligne l'importance des "normes sociales et l'impact en vérité de ces normes sociales sur les adolescents sont sont différentes".
Il est crucial de travailler sur le conformisme social avec les adolescents, non pour le supprimer (ce qui est impossible), mais pour les aider à "comprendre cette dynamique avoir une vraie représentation explicite du fait qu'il existe ce conformisme social et détecter dans certaines situations où il faut pas se conformer".
La peur de l'exclusion est un moteur puissant du conformisme, et il est important d'aider les adolescents à relativiser ce "coût affectif".
5. Écouter et Soutenir les Adolescents : La Créativité comme Moteur
Cassotti insiste sur l'importance d'écouter davantage les adolescents et de ne pas se contenter de leur dicter des solutions.
Il propose un "changement de paradigme" où les adolescents deviennent "acteurs de la façon de résoudre les problèmes", en particulier pour des défis complexes comme la transition écologique, pour lesquels les adultes n'ont pas toujours les solutions.
Le laboratoire de Cassotti s'engage dans la co-conception de recherche avec les adolescents, leur fournissant des "outils pour penser, les outils pour réfléchir par eux-mêmes et proposer les solutions par eux-mêmes".
La Réactivité Émotionnelle comme Moteur d'Engagement : L'hypersensibilité émotionnelle des adolescents aux injustices sociales peut être un puissant moteur d'exploration et d'engagement.
Cette réactivité émotionnelle est non seulement plus forte mais "dure plus longtemps dans le temps" que chez les adultes, qui ont tendance à diluer leurs émotions, à utiliser des mécanismes de coping pour réguler les affects négatifs, ou à ne pas savoir quoi faire.
Cette "spécificité de l'adolescence qu'on peut documenter d'un point de vue neuro" peut être utilisée comme un élément de stimulation pour "une volonté d'agir et de changer les choses".
Créativité : Les adultes ont souvent des "blocages cognitifs" qui les empêchent de proposer des solutions créatives, retombant au niveau d'enfants de CM1/CM2 pour des problèmes complexes.
Le cerveau a tendance à rechercher des solutions par analogie, ce qui mène souvent à des réponses convenues et peu originales.
Par exemple, pour le problème de l'œuf lâché de 10m, la plupart des solutions se regroupent en trois catégories : ralentir la chute, amortir la chute, ou protéger l'œuf.
Il est essentiel de "sortir de ce cadre là" en explorant de nouvelles connaissances (par exemple, les propriétés naturelles de l'œuf, jouer sur le problème lui-même).
Même les idées "farfelues" peuvent être précieuses car elles "déclenchent comme activation de connaissance pour pouvoir ensuite aller explorer des solutions nouvelles".
Il y a un "vrai enjeu à travailler avec les adolescents pour les aider et les soutenir dans leur démarche plutôt que pour les enfermer".
En somme, Mathieu Cassotti invite à reconsidérer l'adolescence non pas comme une période de problèmes à gérer, mais comme une phase de développement unique avec des spécificités neurologiques et psychologiques qui, si elles sont comprises et soutenues, peuvent devenir de puissants atouts pour l'innovation, l'engagement social et la résolution de problèmes complexes.

