Synthèse de la Séance Plénière du Conseil Économique, Social et Environnemental
Résumé
La séance plénière du Conseil économique, social et environnemental (CESE) s'est articulée autour de deux axes majeurs :
l'examen et l'adoption unanime d'un avis crucial sur les droits et les besoins fondamentaux de l'enfant,
et une série d'interventions sur des sujets d'actualité reflétant les préoccupations de la société civile.
L'avis intitulé "Satisfaire les besoins fondamentaux des enfants et garantir leurs droits dans tous les temps et espaces de leur vie quotidienne" a été adopté à l'unanimité (130 voix pour).
Conçu en complément des travaux de la Convention Citoyenne sur le même sujet, cet avis dresse un constat sévère de la situation des enfants en France, marquée par des inégalités croissantes (sociales, territoriales, économiques) et un décalage persistant entre les droits proclamés et leur application réelle. Le document met en lumière une société pensée "par et pour les adultes", qui peine à placer l'enfant au cœur de ses préoccupations.
Les préconisations phares incluent l'instauration d'une "clause impact enfance" dans chaque texte de loi, une réforme ambitieuse des rythmes scolaires, la garantie d'un accès équitable aux loisirs et aux vacances, et la création d'un "service public de la continuité éducative" pour coordonner l'ensemble des acteurs.
L'intervention de Claire Hédon, Défenseure des droits, a renforcé ce diagnostic par des données chiffrées alarmantes sur les atteintes aux droits de l'enfant, notamment pour les plus vulnérables.
En amont de ce débat, la séance d'expression libre a permis d'aborder des enjeux variés :
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la remise en cause de la légitimité de la participation citoyenne,
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les coupes drastiques dans l'aide publique au développement,
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les menaces sur le système de santé,
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la dérégulation environnementale au niveau européen, les dangers des nouveaux OGM,
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la hausse des accidents du travail,
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la pression exercée sur les demandeurs d'emploi,
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et les appels à une souveraineté alimentaire concrète.
Enfin, la présentation du budget du CESE a révélé une situation financière tendue, marquée par une baisse des dotations de l'État et menacée par de nouvelles coupes potentielles votées par le Sénat, mettant en péril la capacité de l'institution à mener ses missions, notamment l'organisation de futures conventions citoyennes.
I. Session d'Expression Libre : Un Panorama des Préoccupations Sociétales
Avant l'examen de l'avis sur l'enfance, plusieurs intervenants ont exprimé les préoccupations de leurs groupes respectifs sur des sujets d'actualité.
• Défense de la Participation Citoyenne (Agatha Mel) :
Au nom des organisations étudiantes, une défense de la Convention Citoyenne sur les temps de l'enfant a été formulée, dénonçant les "procès d'illégitimité, d'incompétence et de manipulation" et appelant à un débat sérieux sur le fond du rapport, sans caricaturer le travail des citoyens.
• Aide Publique au Développement (Jean-Marc Boivin) :
Le groupe des associations a alerté sur les coupes "drastiques et disproportionnées" (-60 % en 2 ans) dans le budget de l'aide publique au développement, entraînant la fermeture de 1300 projets, la suppression de 10 000 emplois et impactant plus de 15 millions de personnes.
• Impact sur la Santé (Dominique Joseph) :
La Mutualité Française a qualifié d'irresponsable l'augmentation de la taxe sur les complémentaires santé, la qualifiant de "TVA sur la santé", et a souligné la nécessité d'une réforme de fond du système de protection sociale.
• Dérégulation Environnementale (Florent Compnibus) :
Le groupe environnement a dénoncé le projet législatif européen "Omnibus" comme une "dérégulation massive" et un "abandon pur et simple du principe de précaution", instaurant des autorisations illimitées pour les pesticides et biocides et affaiblissant le devoir de vigilance des entreprises.
• Opposition aux Nouveaux OGM (Éric Meer) :
Le groupe alternative sociale et écologique a critiqué l'accord européen sur les nouvelles techniques génomiques (NGT), y voyant une "fuite en avant technologique" qui favorise le brevetage, la dépendance des paysans et prive les consommateurs de traçabilité.
• Accidents du Travail (Ingrid Clément) :
La CFDT a qualifié 2024 d'"année noire" avec 774 décès au travail (deux par jour), une augmentation de 26 % des accidents pour les femmes, et une hausse des troubles musculosquelettiques et des affections psychiques, appelant à renforcer la prévention primaire.
• Pression sur les Demandeurs d'Emploi (Isabelle Dor) :
Le groupe des associations a relayé des témoignages de personnes suivies par France Travail décrivant "infantilisation", "pression folle" et menaces de radiation, illustrant des situations qualifiées d'ubuesques pour les bénéficiaires du RSA et les travailleurs pauvres.
• Soutien à la Solidarité Syndicale (Alain le corps) :
La CGT a dénoncé la mise en examen de sa secrétaire générale, Sophie Binet, pour avoir utilisé l'expression "les rats quittent le navire", affirmant qu'il s'agit "non pas une injure, mais le constat amer d'un comportement irresponsable".
• Souveraineté Alimentaire (Henriespéré) :
Le groupe de l'agriculture a relayé les propos de la ministre sur la "guerre agricole" qui se prépare, appelant à passer "des discours aux actes" pour relancer les filières agricoles françaises via l'innovation et la réciprocité des normes.
II. L'Avis du CESE sur les Besoins et les Droits Fondamentaux de l'Enfant
Le cœur de la séance a été consacré à l'avis "Satisfaire les besoins fondamentaux des enfants et garantir leurs droits", élaboré par la commission éducation, culture et communication.
Cet avis constitue la contribution de la société civile organisée en parallèle de la Convention Citoyenne sur les temps de l'enfant, saisie par le Premier ministre.
A. Le Discours de la Défenseure des Droits (Claire Hédon)
En introduction, Claire Hédon, Défenseure des droits et des enfants, a livré une intervention dense, soulignant l'écart entre le "droit annoncé et son effectivité".
• Volume des Saisines : L'institution a reçu 3 073 réclamations relatives à des atteintes aux droits de l'enfant en 2024. 30 % de ces réclamations concernent la scolarisation d'élèves en situation de handicap.
• Consultation des Enfants : Pour préparer son rapport 2025, plus de 1 600 enfants et jeunes ont été écoutés, soulignant l'importance de leur parole "trop souvent absente du débat public".
• Accès aux Loisirs : Un chiffre marquant illustre les inégalités massives : 71 % des enfants issus de familles modestes ne pratiquent aucune activité sportive ou culturelle, contre seulement 38 % des familles aisées.
La situation est encore plus critique en Outre-mer, où les équipements sont quatre fois moins nombreux qu'en métropole à Mayotte.
• Temps d'Écran : Le temps passé devant les écrans augmente fortement, atteignant en moyenne 4h48 par jour chez les 11-14 ans (hors école) et jusqu'à 5h10 chez les 16 ans, avec des conséquences graves sur le sommeil et la santé mentale.
• Droit à l'Éducation : La Défenseure a alerté sur les heures d'enseignement perdues, citant le cas d'élèves de CP à Marseille sans cours pendant un mois, et le chiffre de 27 000 jeunes sans affectation au lycée début 2024 sur tout le territoire.
• Impact Climatique : Le réchauffement climatique menace la continuité du service public de l'éducation.
D'ici 2030, près de 7 000 écoles maternelles seront exposées à des vagues de chaleur supérieures à 35°C.
B. Présentation du Projet d'Avis par la Commission
Les rapporteurs ont présenté un projet d'avis structuré autour d'un principe fondamental : l'enfant est une personne à part entière.
Le fil rouge de l'analyse est un triptyque : droits de l'enfant, satisfaction de ses besoins et lutte contre les inégalités.
Constats et Enjeux Majeurs
• Des Droits Peu Effectifs : Malgré la ratification de la Convention internationale des droits de l'enfant, la réalité quotidienne est marquée par des droits non respectés, comme le soulignent les rapports de l'ONU et de la Défenseure des droits.
• Des Inégalités Croissantes : Les inégalités sociales, économiques, territoriales et environnementales percutent de plein fouet la vie des enfants.
34,3 % des familles monoparentales vivent en situation de pauvreté.
À la veille de la rentrée 2025, au moins 2 159 enfants sont restés sans solution d'hébergement.
• Une Société "Adulto-centrée" : L'organisation sociale, notamment les rythmes de travail et les temps scolaires, est pensée pour les adultes, laissant peu de place aux besoins biologiques et psychologiques des enfants.
• L'Enfant "de l'intérieur" : En 20 ans, le périmètre de déplacement autonome des enfants a chuté de plusieurs kilomètres à moins de 300 mètres.
Quatre enfants sur 10 (3-10 ans) ne jouent jamais dehors pendant la semaine.
Préconisations Clés
L'avis formule 19 préconisations pour répondre à ces enjeux. Les plus structurantes sont :
Thématique
Préconisation Phare
Description
Gouvernance et Législation
Créer une clause "impact enfance"
Intégrer dans l'évaluation de chaque projet de loi ou de règlement une analyse de ses conséquences sur les droits et le bien-être des enfants.
Temps Scolaire
Affirmer que le statu quo n'est plus tenable
Appeler à revoir l'organisation des journées et des semaines scolaires, en préconisant une alternance de 7 semaines de cours et 2 semaines de vacances, tout en maintenant 8 semaines l'été.
Droit aux Vacances et Loisirs
Garantir un accès équitable pour tous
Développer une information ciblée, mettre en place une tarification sociale et soutenir financièrement les structures d'accueil collectif pour lutter contre les inégalités d'accès.
Lien à la Nature
Valoriser et accompagner l'éducation "au dehors"
Déployer des aménagements tels que la végétalisation des cours d'école, les aires éducatives et les plans locaux d'éducation à la nature pour reconnecter les enfants à leur environnement.
Coordination des Acteurs
Créer un service public de la continuité éducative
Articuler les outils existants (PEDT, CTG) pour garantir à chaque enfant un accès à des temps éducatifs variés, cohérents et de qualité, en mobilisant l'ensemble des acteurs (école, familles, associations, collectivités).
Parentalité et Travail
Créer un droit attaché aux obligations parentales
Transposer la directive européenne sur l'équilibre vie pro/vie perso pour permettre aux parents de recourir à des formules souples de travail.
Financement
Assurer un effort budgétaire conséquent et pérenne
Reconnaître l'éducation comme un investissement d'avenir et non comme une simple dépense, en garantissant les moyens nécessaires à l'État, la Sécurité sociale et aux collectivités pour mener des politiques publiques ambitieuses.
C. Réception et Adoption de l'Avis
L'ensemble des groupes politiques et de la société civile présents au CESE ont salué la qualité et l'ambition de l'avis.
Les déclarations ont convergé sur le diagnostic des inégalités croissantes et la nécessité d'une action politique forte.
Le projet d'avis a été adopté à l'unanimité des 130 votants.
En complément, la députée Florence Erroin-Léoté a annoncé son intention de porter une proposition de loi sur le droit au loisir des enfants, s'appuyant sur les travaux de la Convention Citoyenne et du CESE pour faire du temps libre un "lieu éducatif, de mixité, d'émancipation et de démocratie vivante".
III. Le Budget du CESE : Enjeux et Vulnérabilités
La séance s'est conclue par la présentation du budget du CESE, qui a mis en lumière une situation financière préoccupante.
• Contexte de Pression Budgétaire : Le président a rappelé qu'au même moment, le Sénat votait une baisse de 5 millions d'euros du budget du CESE, contre l'avis de sa propre commission des finances et du gouvernement.
• Baisse des Recettes : Le budget présenté montre une érosion continue des recettes, notamment la fin de la dotation spécifique de 4 millions d'euros pour l'organisation des conventions citoyennes.
De plus, les travaux de rénovation du Palais d'Iéna vont priver le CESE d'environ 1,6 million d'euros de recettes de valorisation (location d'espaces) en 2026.
• Un Budget 2026 à l'Équilibre Fragile : Le budget pour 2026 est présenté comme étant à l'équilibre, mais cet équilibre est atteint en n'incluant pas le financement d'une nouvelle convention citoyenne et en réduisant certains postes comme la communication.
• Incapacité à Financer de Nouvelles Missions : Le questeur a été clair : "en l'état, [...] on est demain incapable de refaire une convention citoyenne à 4 millions d'euros".
L'organisation de telles missions dépendra désormais de la capacité du CESE à obtenir des financements ad hoc auprès du gouvernement pour chaque commande.
• Investissement Immobilier Massif : La présentation a souligné que les réserves de trésorerie accumulées sont désormais engagées dans un plan pluriannuel d'investissement indispensable pour la rénovation du bâtiment, rattrapant des décennies de sous-investissement.